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Etude BCG-Uber sur les VTC en France : une communication non transparente aux conclusions peu crédibles

25 Novembre 2016
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Le Boston Consulting Group (BCG) a réalisé pour le compte d'Uber une étude sur le secteur du VTC en France. Un communiqué de deux pages et une présentation de 11 diapositives (dont 6 de résultats) ont été diffusés aux médias qui ont largement repris, à compter du 23 novembre, les conclusions de cette étude.



Sur la base de ces documents, les seuls que le BCG semble avoir souhaité divulguer, il n'est pas possible d'apprécier ce qui relève de données internes à Uber, d'enquêtes réalisées par le BCG ou de données publiques. Si des sources et bases de données sont citées de manière générique, il n'y a en effet pas de transparence sur les données et sources utilisées pour chacun des résultats présentés, sur les calculs effectués et les éventuelles extrapolations réalisées, ni sur l'implication directe d'Uber dans l'élaboration de cette étude et de sa communication. Toutefois, les données et éléments connus sur ce secteur permettent de douter des conclusions présentées dans cette communication.

Des données publiques lacunaires

Les données publiques sur le secteur en France sont hélas extrêmement lacunaires et peu détaillées. La principale donnée sur l'activité repose sur l'indice national du chiffre d'affaires en valeur publié par l'Insee pour la branche 49.32Z de la nomenclature NAF. Cette série avait été interrompue dans sa version précédente à décembre 2015, pour être révisée en profondeur et republiée depuis cet été. Comme l'avait relevé le rapport des inspections sur l'application de la loi Thévenoud, elle souffrait en effet de défauts importants, notamment s'agissant de la prise en compte des plus petites unités. Rien n'indique que l'indice actuel permette de mieux couvrir le secteur VTC-taxi, et notamment de représenter une source fiable pour mesurer l'évolution de son activité.

Toujours est-il que cet indice ne montre aucun infléchissement particulier de la croissance de l'activité depuis 2010 (voir ci-après), contrairement au changement de régime invoqué dans le document BCG/Uber sur la période 2013-2015. L'émergence des VTC, pour la part prise en compte dans cet indice, est donc venue se substituer en quasi-totalité à l'activité de taxi et à sa croissance tendancielle, et non compléter celle-ci. Le recul de l'activité de taxi estimé à 5% par an ne paraît pas correspondre, loin s'en faut, aux données évoquées par les professionnels du taxi. Ici également, rien ne vient préciser la méthodologie ou les sources employées pour parvenir à un tel chiffre. Ces données ne correspondent pas davantage à celles observées dans les villes étrangères pour lesquelles les données sont disponibles. A New York, une ville où pourtant l'activité de VTC était déjà très développée bien avant l'émergence des applications de mise en relation, le recul du volume d'activité des « yellow cabs » est ainsi de l'ordre de 22% entre août 2014 et août 2016.

22 000 chauffeurs de VTC en France ?

Le document BCG/Uber fait état de 22 000 chauffeurs de VTC en France actuellement, et en même temps d'une très forte contribution à la croissance de l'emploi en France au cours du premier semestre 2016 (« 15% des créations nettes d'emploi »). Ces deux affirmations sont curieuses. D'une part, la connaissance du nombre de chauffeurs VTC est difficile en l'absence de données officielles et régulières à ce sujet. Il est toutefois intéressant de rappeler que le rapport précité des inspections faisait état d'environ 25 000 cartes professionnelles de VTC à la mi-2015 en France (avec seulement 1800 cas d'incompatibilité entre statuts de taxis et de VTC). Une donnée peu cohérente avec l'affirmation d'une forte croissance de l'emploi de VTC dont le total serait de 22 000 aujourd'hui. D'autre part, à ce stade, les données sur l'emploi de l'Insee ne portent pour l'année 2016 que sur l'emploi salarié non public, et ne donnent par exemple aucune indication sur l'emploi non salarié en cours d'année. Il n'est donc pas possible de se référer rigoureusement à un emploi total en fin de premier semestre 2016 en France. Si l'on s'en tient néanmoins au champ restreint de l'emploi salarié hors emploi public non marchand et agriculture, l'Insee fait état d'une croissance de 61 800 au premier semestre en France (métropolitaine). Là encore, au vu des données de mi-2015 déjà mentionnées, il paraît invraisemblable que l'emploi dans le VTC ait été de seulement 12 730 en France à fin 2015, niveau nécessaire pour concilier les deux affirmations de 22 000 chauffeurs et d'une croissance de l'emploi dans ce secteur représentant 15% de celle de l'emploi en France au premier semestre 2016.
 
La même observation sur les disponibilités des statistiques relatives à l'emploi en France vaut naturellement aussi pour l'emploi en Ile-de-France au premier semestre 2016. Seule la variation de l'emploi salarié marchand régional est à ce stade disponible, avec un chiffre provisoire de l'Insee pour le deuxième trimestre 2016. Par rapport au dernier trimestre 2015, la hausse de l'emploi salarié marchand en Ile-de-France est de 11 025, d'ailleurs concentrée sur le seul deuxième trimestre. 25% de cette hausse, comme évoqué dans le document BCG/Uber, représenterait donc de l'ordre de 2 750 emplois, ce qui ne paraît pas compatible avec une hausse devant correspondre également à 15 % de celle de l'emploi national pour un secteur concentré à 90% sur l'Ile-de-France, comme le stipule l'étude. Par ailleurs, et sans que cela préjuge de la variation de l'emploi salarié dans le secteur VTC que pourraient compenser des destructions de poste dans d'autres activités du transport, l'agrégat plus global de la branche transport-entreposage fait ressortir une hausse limitée à seulement 795 emplois en Ile-de-France au premier semestre 2016.

Recours à une extrapolation des situations de Londres et de New York

Ces données sont également incohérentes avec celles publiées dans le cadre d'une étude financée par Uber et diffusée en mars 2016, qui faisait état de quasiment 15 000 chauffeurs actifs pour Uber à lui seul fin 2015 (voir graphique ci-après), soit davantage que le total de fin d'année susceptible de valider à la fois le chiffre de 22 000 chauffeurs actuels et de créations nettes d'emplois aussi fortes que proclamées, quand bien même tous les chauffeurs de VTC en France seraient actifs sur Uber (ce qui n'est évidemment pas le cas).
 
De fait, les données précises et fiables de créations mais aussi de destructions d'emploi dans le secteur font défaut. Si les recrutements dans cette activité ont pu être importants, aucune donnée quantitative de référence n'est disponible pour connaître les créations nettes, une fois pris en compte les arrêts d'activité. Ceux-ci sont particulièrement difficiles à comptabiliser dans le statut de micro-entrepreneur pour lequel la fin de l'exercice actif n'est pas forcément tracée. Or, il est souvent fait état d'un turn-over très important dans le métier de chauffeur de VTC, par exemple aux Etats-Unis. Par ailleurs, un calcul rigoureux de l'impact de cette activité sur l'emploi devrait également prendre en compte les destructions potentielles d'emplois qu'elle a pu générer, notamment dans l'activité de taxi.
 
L'étude semble recourir à une extrapolation des situations de Londres et de New York pour apprécier le potentiel de croissance du marché parisien, sur la simple base d'un ratio de chauffeurs par habitant. Comme nous l'avions longuement montré (pages 38-48 de l'étude Facta de juin), une telle approche est bien trop simpliste, tout comme le serait celle de projections sur la base de comparaisons entre Paris et des villes où ce ratio y est cette fois inférieur. Si les références de Londres et New York sont très intéressantes pour de multiples raisons, les comparaisons avec Paris nécessitent de prendre en compte le bon périmètre de population (faible activité en Grande couronne parisienne hors aéroports pour ce marché…), la densité de la zone urbaine considérée (très importante pour apprécier le potentiel de trajets effectués en marchant ou à vélo), le réseau de transports en commun et son trafic, les offres alternatives (par exemple le recours aux deux-roues motorisés, les vélos et voitures en libre-service…), le trafic aéroportuaire concerné… Dans le cadre de cette analyse affinée, la perspective d'une convergence du ratio de chauffeurs par habitant dans le Grand Paris vers ceux de Londres et New York apparaît totalement invraisemblable.
 
En revanche, les auteurs auraient gagné à utiliser les données précises et publiques de volumes d'activité dans ces deux villes. Celles-ci montrent en effet une très faible croissance globale à New York et une stagnation à Londres, sur les dernières données disponibles, du nombre de trajets effectués pour l'ensemble du secteur taxis-VTC. Et donc une large substitution de parts de marché entre taxis et VTC, dans un volume à peu près inchangé.

29 100 euros après commission de plateforme ?

Les retombées fiscales envisagées dans l'étude sont également étonnantes. Ainsi, dans le cas assez fréquent d'un micro-entrepreneur travaillant pour Uber, aucune TVA n'est acquittée au titre d'une course : le micro-entrepreneur en est statutairement exonéré ; et la commission de plateforme est versée à Uber BV aux Pays-Bas sans TVA applicable. Il est également douteux dans cette situation qu'un impôt sur le revenu (outre l'éventuel forfait micro-entrepreneur de 1,7% de ses revenus) ou les sociétés soit perçu au titre des revenus ainsi générés. Ce modèle donne lieu seulement à une contribution sociale forfaitaire propre au statut de micro-entrepreneur (23,4% des revenus, montant destiné au financement de sa couverture sociale) et des recettes fiscales indirectes sur les consommations tierces du chauffeur (location et assurance du véhicule, carburant…).
 
Les propres conclusions de l'étude semblent difficilement conciliables. Il est ainsi fait état de 22 000 chauffeurs pour un turn-over attendu de 800 millions d'euros HT en 2016. Il en résulterait un chiffre d'affaires annuel moyen par chauffeur de 36 400 euros, soit 29 100 euros après commission de plateforme. Un niveau rigoureusement incompatible avec un revenu moyen de 1 400 à 1 600 euros nets par chauffeur tel qu'indiqué dans le document BCG/Uber, ainsi que nous l'avons montré (p.35-37 de l'étude Facta), y compris en tenant compte d'une éventuelle dispersion importante des horaires et des revenus des chauffeurs.
 
Pour aller plus loin dans l'analyse des conclusions du document présenté, il serait donc très utile que ses auteurs publient les données brutes utilisées et fassent connaître les méthodologies précises employées ainsi que le détail du calcul de chaque chiffre avancé. Il apparaît plus que jamais indispensable de pouvoir suivre précisément, dans le secteur du taxi et du VTC en France, le nombre d'exploitants, de véhicules et de chauffeurs actifs, leur activité en chiffre d'affaires et en nombre de courses. Le niveau d'information exigé des acteurs et porté à la connaissance du public est d'ailleurs très élevé dans beaucoup de grandes villes, en particulier à New York ou à Londres. Le texte de la proposition de loi actuellement en discussion au Parlement devrait permettre d'y contribuer en France, avec la transmission de données au régulateur. Il est très regrettable que les entreprises du VTC combattent durement ce texte et cette disposition propre à instaurer davantage de transparence dans ce secteur.


Tags : BCG, Uber, VTC

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