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L’Inde de Modi : le bilan contrasté de sa première année au pouvoir

3 Avril 2015
Meghna Prakash
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L’essor fulgurant de l’Inde au milieu des années 2000 en a fait rêver plus d’un, avec ses taux de croissance sans précédent et la véritable ruée des investisseurs vers cette « Incredible India ». L’Inde était alors en passe de devenir l’une des plus grandes puissances économiques mondiales, soutenue par une population croissante dont plus de la moitié avaient moins de 25 ans. Le rêve a pourtant tourné court à la fin des années 2000, marquée par un taux de croissance du PIB en déclin et un taux d’inflation élevé. Cette situation a été en grande partie imputée au gouvernement indien en place, dirigé par le parti du Congrès, alors miné par des affaires de corruption, et critiqué pour sa « paralysie politique » et ses mesures fiscales impopulaires qui avaient sapé la confiance des investisseurs.

Des élections historiques

Les élections législatives de 2014 ont donc cristallisé toutes les attentes et se sont avérées historiques à plus d’un titre. Elles ont permis un changement de gouvernement très attendu, le parti Bharatiya Janata (BJP) ayant battu le parti du Congrès en remportant 282 des 543 sièges que comptent la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement indien. Le BJP et sa coalition ont remporté un total de 336 sièges, soit la plus large majorité obtenue par un gouvernement depuis 1984. Ces élections ont également été présentées comme les plus vastes élections jamais organisées dans le monde, avec plus de 800 millions d’électeurs, et ont suscité un taux de participation de 66,38%, un record dans l’histoire électorale indienne.
 
Narendra Modi, l’ancien Ministre en Chef du Gujarat, un Etat connu pour sa politique pro-entreprise, est ainsi devenu le 15ème Premier Ministre indien à la tête d’un nouveau gouvernement censé être capable de remettre sur pied l’économie indienne. Vu les attentes considérables suscitées par ce gouvernement, il est intéressant de constater, presque un an après son arrivée au pouvoir, que plutôt que de miser sur des réformes majeures, de fond, M. Modi a préféré commencer par des changements plus modestes et réalisables, pour tenter de consolider sa position et d’engranger ce qui pourrait être vu comme un grand nombre de petits succès. Reste à savoir si ces mesures ont toutes servi l’intérêt supérieur de l’Inde.

Budget

Peu de temps après son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement a dévoilé un budget prévisionnel pour 2015 axé sur la consolidation financière et la réduction du déficit public. L’objectif sous-jacent était clair : promouvoir les investissements étrangers et nationaux. Le gouvernement s’est particulièrement employé à rassurer les investisseurs en déclarant qu’aucune mesure législative n’aurait d’effet rétroactif, apaisant ainsi les craintes de voir des charges imprévues peser sur des investissements antérieurs, critique indirecte des politiques fiscales impopulaires mises en place par le précédent gouvernement et illustrées par le cas désormais célèbre de Vodafone.
 
En février dernier, le gouvernement a dévoilé le budget pour l’exercice 2015-2016, avec pour ambition affichée d’accélérer la croissance économique, de créer des emplois pour la population indienne, et de renouveler la confiance des investisseurs. Ce budget semble ne pas avoir répondu aux nombreuses attentes qu’il avait suscitées, puisqu’il n’apporte que des changements mineurs et aucune réforme profonde de la fiscalité indienne. Il faut cependant retenir l’annonce de la réduction progressive du taux de l’impôt sur les sociétés indiennes, qui passera de 30% à 25% sur les 4 prochaines années, et la réduction de la taxe sur les redevances et rémunérations pour services techniques fournis aux non-résidents, qui passera de 25% à 10%.
 
Une annonce, toutefois, a particulièrement déplu : le gouvernement veut modifier la fiscalité indienne de façon à ce qu’une société étrangère soit considérée comme résidante fiscalement en Inde si « le lieu de sa direction effective » se trouve en Inde à un moment quelconque au cours d’un exercice. Cette modification pourrait avoir des conséquences inattendues et des sociétés étrangères opérant en Inde pourraient être traitées comme résidant fiscalement en Inde et voir leur revenu mondial soumis à l’impôt en Inde si elles venaient, par exemple, à prendre des décisions constitutives d’actes de gestion lors d’un quelconque conseil d’administration tenu en Inde.  Ce point mérite d’être réexaminé et aurait déjà fait l’objet de différents recours auprès du Ministre des Finances.

« Made in India »

L’annonce phare du Premier Ministre Modi pour 2014 était la campagne mondiale intitulée « Make in India » (fabriquez en Inde) lancée au mois de septembre. Son but était de mettre en exergue les opportunités d’investissement en Inde, tout en réduisant les barrières à l’entrée des investissements étrangers. Parmi les principales annonces sectorielles de cette campagne, le plafond des investissements directs étrangers (IDE) dans les secteurs de l’industrie de la défense et des assurances passait de 26% à 49%. Cette annonce était particulièrement intéressante pour l’économie française, la défense étant l’un des principaux secteurs de coopération entre les deux pays, et devrait être un des points clés de la visite de M. Modi en France en avril 2015, dont beaucoup espèrent qu’elle fera avancer les négociations du fameux contrat Rafale.
 
La campagne « Make in India » devait également ouvrir le secteur des infrastructures ferroviaires aux IDE à hauteur de 100%, afin de promouvoir le développement de réseaux à grande vitesse, de corridors périurbains et de lignes de fret. Cette mesure devrait être particulièrement intéressante pour la France, vu son expérience dans le domaine des réseaux ferroviaires à grande vitesse et son implication dans les différents projets de réseaux métropolitains en Inde.
 
Un autre point clé de cette campagne était le développement de « villes intelligentes » le long de certains corridors industriels, accompagné d’un assouplissement des règles relatives aux IDE dans les projets de nouvelles constructions et de l’annonce d’avantages fiscaux. Le gouvernement mettait l’accent sur la relance du secteur industriel indien dans le but de doubler le niveau de l’emploi en Inde et d’accroitre la compétitivité mondiale de l’industrie indienne. Bien que ces mesures ne se soient pas encore traduites par une augmentation notable des investissements étrangers, les politiques apparemment pro-entreprises du gouvernement ont rendu l’Inde plus attractive pour les investisseurs et l’atmosphère d’optimisme et de changement qui en ont résulté ont permis à la bourse Indienne de rester à flot.

Politiques sociales

Peu après sa prise de fonctions, M. Modi a annoncé le lancement d’un programme d’accès universel aux services bancaires (‘Jan Dhan Yojana’) afin d’assurer l’inclusion financière des couches de la société indienne qui ne pouvaient pas ouvrir de comptes bancaires. Ce programme permet l’ouverture de comptes à solde nul (zero-balance bank accounts) auprès d’établissements bancaires publics, et 70 millions de comptes bancaires auraient ainsi été ouverts à ce jour.
 
Le Premier Ministre indien a également annoncé le lancement d’une campagne de santé publique (‘Swachh Bharat Abhiyan’) destinée à doter le pays d’un système sanitaire généralisé et à améliorer le niveau général d’hygiène collective en Inde à l’horizon 2019. En dépit des problèmes de corruption qui ont émaillé sa mise en œuvre et des nombreux détracteurs qui y voient une manœuvre politique ou la simple reformulation d’une politique existante, ce programme a permis la construction de 5 millions d’installations sanitaires dans les foyers ruraux.

Restaurer la confiance dans la fonction publique

L’action du précédent gouvernement a fortement érodé la confiance du public à l’égard de l’appareil gouvernemental. Une des premières mesures adoptées par M. Modi a été la mise en œuvre d’un système de surveillance électronique permettant de contrôler la ponctualité des fonctionnaires, y compris celle des ministres les plus haut placés du gouvernement. M. Modi a clairement insisté sur le fait que tout relâchement au travail constaté serait passible de sanctions. Cette mesure s’est traduite par une baisse de l’absentéisme au sein de la fonction publique et une plus grande transparence à l’égard du gouvernement, laissant espérer une évolution graduelle de l’attitude des fonctionnaires.
 
Pendant l’ascension au pouvoir de M. Modi, une des principales craintes exprimées à son sujet était qu’il donnait l’impression d’un dirigeant autoritaire, tourné uniquement vers les entreprises et prêt à tout pour arriver à ses fins. Il a conforté cette image en prenant une ordonnance pour modifier la Loi sur l’Acquisition Foncière de façon à dispenser du consentement des propriétaires et de la réalisation d’une étude d’impact social les projets d’acquisition relevant des domaines de la sécurité nationale, de la défense, des infrastructures rurales, des corridors industriels et des logements sociaux. La loi modifiée dispose que seul le propriétaire du terrain sera indemnisé en cas d’acquisition, et ce, même si d’autres personnes dépendent du terrain. Cette mesure a été abondamment critiquée, d’autant qu’en recourant à une ordonnance, acte exécutif, le gouvernement a semblé faire passer l’intérêt des investisseurs avant celui des moins privilégiés, dans le but de faire de la campagne « Make in India » de M. Modi une réalité. Le gouvernement a finalement soumis au Parlement les modifications proposées, lesquelles ont depuis été adoptées par la Lok Sabha, contrôlée par le BJP, mais doivent encore être ratifiées par la Rajya Sabha (chambre haute).
 
 

Des mesures pro entreprises

Il semblerait que le gouvernement tente également une autre approche pour faciliter la vie des investisseurs : affaiblir les lois sur la protection de l’environnement. Le gouvernement a en effet recouru à une procédure accélérée pour attribuer des autorisations environnementales à différents projets d’infrastructures et a levé des moratoires précédemment imposés aux usines situées dans des zones désignées comme hautement polluées. Le coût pour l’Inde des dommages environnementaux qui en résulteront est estimé à environ 59 milliards d’euros par an. Une fois encore, le Premier Ministre est accusé de sacrifier l’intérêt général au profit des entreprises privées.

En conclusion, le gouvernement Modi ne cache pas sa volonté de mettre en œuvre des mesures pro-entreprises pour garantir la croissance et stimuler l’économie indienne. Plusieurs organismes internationaux comme le FMI ont annoncé que 2016 serait l’année de l’Inde. Pour l’heure, tout le monde semble d’accord pour dire qu’il est encore trop tôt pour savoir si le gouvernement Modi atteindra son objectif de croissance effective et inclusive, mais sa position pro-entreprises laisse aux investisseurs et aux acteurs économiques du pays l’espoir de réformes majeures prochaines qui faciliteront la vie des entrepreneurs en Inde. Le plus difficile sera de trouver le juste milieu entre intérêts du secteur privé et intérêt général.
 
A propos de l'auteur : Meghna Prakash est responsable du pôle Inde du cabinet d'avocats Franklin. 



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