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Pétrole : quel avenir après le coronavirus ?

30 Avril 2020
Hachmi Ben Ameur, Zied Ftiti et Wael Louhichi
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Trois mois après l'apparition des premiers cas en Chine, cette pandémie a provoqué un changement important dans le monde entier sur nos modes de vie, les systèmes économiques mondiaux, les marchés financiers et les marchés pétroliers également. L'impact principal du COVID-19 sur les marchés pétroliers est basé sur son exposition aux chocs de l'offre et de la demande en même temps. Le prix du pétrole, qui était de 63,05 dollars le baril le 30 décembre 2019, est tombé à 11,58 dollars le baril le 22 avril 2020. Dans ce cadre, l’analyse de la dynamique des marchés pétroliers pendant cette période de propagation permettra de mieux comprendre les relations complexes qui caractérisent ce marché et de discuter des perspectives de l'industrie pétrolière pour le second semestre de 2020.

De la crise sanitaire à la crise pétrolière

L'article fondateur de Hamilton (1983) a établi une relation entre le marché du pétrole et l'économie réelle. Théoriquement, cette relation est modélisée par plusieurs canaux, l'évaluation des stocks, les mesures monétaires et fiscales, la production et l'incertitude.
 La crise du COVID-19 a eu un impact sur l’économie réelle ainsi que sur les marchés financiers en affectant la production et la valorisation des stocks, avec une réduction sans précèdent de  la mobilité des travailleurs, des touristes, du commerce et des transports, ce qui a conduit à un effondrement général de la demande pétrolière. En plus de ce choc de demande, le marché pétrolier a également subit un choc de l'offre. La proposition saoudienne de réduction de l'offre de pétrole a été rejetée par la Russie, ce qui a conduit les Saoudiens à inonder le marché par une augmentation de la production de pétrole. 

Ces chocs de l'offre et de la demande ont généré des tensions sur les marchés financiers. Le niveau élevé d'incertitude, auquel fait écho le sentiment de nervosité du marché, a également vu le récent rallye spectaculaire des obligations d'État américaines, les rendements à 10 ans étant passés de 1 % à 0,4 %. Le surcroit de demande peut s'expliquer par la recherche des investisseurs des produits peu risqués en privilégiant les investissements institutionnels. Il faut ajouter à cela l'effet du marché des actions sur le marché du pétrole, en particulier dans le contexte d'une incertitude et d'une anxiété croissantes du sentiment du marché. Ce sentiment négatif vis à vis du marché pétrolier a conduit à des anticipations pessimistes portant sur la demande de pétrole, ce qui a provoqué une fuite des stocks d'énergie et entraîné une nouvelle baisse des prix.

Perspectives de l'industrie pétrolière

Au cours du premier trimestre de l'année, la demande chinoise de pétrole a connu une baisse significative en raison des mesures de confinement, alors que l'économie s'est lentement arrêtée. Dès le début du mois de mars, l'Italie s'est complètement enfermée, la France a entamé le confinement le 17 mars ; ce confinement devrait durer au moins jusqu'au mi-mai, pour les deux pays. Aux États-Unis, entre la mi-mars et le début du mois d'avril, certains États ont commencé à prendre des mesures drastiques, tandis que d'autres États ont adopté une approche plus limitée. Une réaction similaire a été adoptée par l'Inde le 25 mars. Dans un scénario optimiste, on s'attend à ce que le confinement se poursuive dans certains pays importateurs de pétrole clés jusqu'en juin au moins.

Bien que la situation économique de la Chine se soit améliorée après que les mesures de confinement aient été assouplies dans certaines régions à partir du deuxième trimestre 2020, les conditions restent extrêmement volatiles dans d'autres pays importateurs de pétrole, qui ont maintenu leurs demandes de pétrole à un niveau proche de celui du premier trimestre. Pour le reste de l'année 2020 (troisième et quatrième trimestres), on peut espérer une amélioration progressive de la demande de pétrole, comme principal scénario. L'assouplissement des mesures de confinement dans les différents pays n'implique toutefois pas la suppression des mesures contraignantes, telles que la limitation des voyages et des activités touristiques, qui ont une incidence sur la consommation de pétrole.

Le niveau des stocks de pétrole dans le monde est actuellement estimé à 4,5 milliards de barils par Rystad Energy (société indépendante de recherche et de conseil en énergie). Ce niveau représente 80 % de la capacité de stockage mondiale. Le niveau stratégique des stocks de pétrole pour les pays a été largement atteint et les coûts de stockage ne font qu'augmenter, avec un niveau d'excédent d'approvisionnement jamais atteint auparavant. L'évolution de cet excédent dépendra de l'accord entre les différents pays producteurs de pétrole, mais une chose est sûre : dans les conditions actuelles, cet excédent ne fera qu'augmenter avec une augmentation des couts de stockage ce qui entrainera inévitablement une pression sur les prix à la baisse. Ces tensions excessives ont été ressenties sur le marché à terme le 21 avril, à vingt-quatre heure de la conclusion des contrats pour une livraison en mois de mai. Le prix a chuté et atteint des valeurs négatives, -37$. Les vendeurs de ces contrats à ce prix négatif n’avaient pas l’intention de garder son contrat pour être livré au mois de Mai en pétrole, mais plutôt de faire de la marge sur ces contrats achetés, en les vendant à un prix supérieur à celui de l’achat.

Cependant, la saturation des capacités de stockage a fait que ces vendeurs ne trouvaient pas d’acheteurs. Ils se sont trouvés, donc, dans une situation de soit garder le contrat et recevoir le pétrole en mois de mai et par conséquent le stocker, ce qui coute énormément cher ou bien séduire des acheteurs potentiels en leur proposant d’acheter ces contrat et en leur donnant de l’argent. Ces vendeurs étaient prêt donc à payer leurs acheteurs, une situation inédite sur le marché, par motif de coût élevés de stockage de pétrole.
L'épidémie de coronavirus a conduit à l'adoption de mesures drastiques dans divers pays, affectant la chaîne d'approvisionnement internationale et réduisant les transports et la mobilité individuelle pour limiter la propagation du virus. Pour le premier trimestre 2020, la réduction de la consommation de produits pétroliers a entraîné une révision à la baisse de la consommation de raffinage de 1,2 mb/j, principalement en raison de la Chine. La production de février est estimée à 10,1 mb/j, soit une baisse de 2,7 mb/j en glissement annuel.  Avec des prix du pétrole inférieur à 30 dollars le baril, les entreprises n'ont pas d'autre choix que de réduire leurs investissements et de supprimer des emplois supplémentaires.

Trouver le juste niveau de production

Les perspectives pétrolières dépendront de l'engagement des gouvernements et de leurs politiques pour contenir l'épidémie de coronavirus. Toutefois, il convient de souligner les caractéristiques du marché pétrolier, à savoir qu'il n'existe pas de gouvernance mondiale du prix du baril. En plus de la loi de l'offre et de la demande, il existe un jeu de pouvoirs entre les pays producteurs, ce qui a un impact direct sur les prix. En outre, le coût de production n'est pas le même pour tous les pays producteurs. Les États-Unis ont un coût de production plus élevé que la Russie, et tous deux ont un coût de production qui est presque deux fois plus élevé que celui de l'Arabie Saoudite.

Par conséquent, le défi consiste à trouver un niveau de production qui permettra de converger vers le juste prix du pétrole, c'est-à-dire le niveau qui assurera la rentabilité des investissements de production sans casser la demande de pétrole. La demande de pétrole sera certainement inférieure au niveau de 2019, car certains comportements et habitudes seront modifiés indéfiniment, notamment en ce qui concerne les systèmes de production, les stratégies de délocalisation, le commerce et les voyages. La seule certitude que nous ayons actuellement est que notre mode de vie prendra une forme et une structure complètement différentes une fois que cette épidémie sera maîtrisée, et personne ne sait avec certitude à quoi ressemblera la nouvelle normalité.

A propos des auteurs : Hachmi Ben Ameur est professeur à l'INSEEC, Zied Ftiti, professeur à l'EDC Paris Business School, et Wael Louhichi, professeur à l'ESSCA.



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