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Brexit : tout ne fait que commencer

26 Novembre 2018
Pierre Sellal
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Quelle est la situation après les décisions prises à Bruxelles le 25 novembre ? Éléments de réponse.



Une étape décisive sur le chemin du retrait, le 29 mars 2019, du Royaume-Uni de l’Union européenne a été franchie le 25 novembre avec l’approbation, par le Royaume-Uni et les 27 autres Etats membres de l’UE, des termes de « l’accord de retrait » prévu par le traité (article 50), ainsi que d’une « déclaration politique »qui constitue la trame du futur statut du Royaume-Uni, devenu pays tiers, vis-à-vis de l’Union européenne.

1. Que contient l’accord de retrait ?

La négociation, engagée après la notification formelle par le gouvernement britannique, le 29 mars 2017, de sa volonté de quitter l’UE avait pour objectif de permettre une sortie du pays aussi « ordonnée » que possible.
Cet objectif est atteint grâce à des dispositions qui assurent :
- la préservation des droits qui découlent du droit de l’UE à la date du retrait tant pour les citoyens des 27 qui résident ou ont résidé, travaillent ou ont travaillé au Royaume-Uni, que pour les citoyens britanniques qui ont été dans les mêmes situations sur le territoire de l’Union;
l’acquittement, par le Royaume-Uni, des obligations financières qu’il a souscrites durant toute la période pendant laquelle il aura été État membre ; 
- une continuité à la date du retrait ou une transition organisée dans une série de domaines, tels que : les biens mis sur le marché (titre I de l’accord) ; les procédures douanières en cours et les procédures en matière de TVA et de droits d’accise (titres II et III) ; la propriété intellectuelle (titre IV) ; la coopération policière et judiciaire en matière pénale (titre V) ; la coopération judiciaire en cours en matière civile et commerciale (titre VI) ; les informations et données traitées ou échangées avant la fin de la période de transition ou sur la base de l’accord de retrait (titre VII) ; les marchés publics en cours et les procédures similaires (titre VIII) ; les questions relatives à Euratom (titre IX) ; les procédures judiciaires et administratives (titre X) ; etc.
C’est dans ce contexte qu’a également été défini, avec difficulté, le régime applicable à la protection des Indications Géographiques reconnues à la date du retrait.
En outre, l’accord comporte deux éléments essentiels :
- l’organisation d’une période de transition, à compter du 29 mars 2019, pendant laquelle le Royaume-Uni cessera d’appartenir aux institutions de l’Union et d’y être représenté, mais restera assujetti à l’ensemble du droit de l’UE. Cette période expirera en principe le 31 décembre 2020 ; toutefois, une extension, unique, de cette période transitoire pourrait être décidée d’un commun accord, si le Royaume-Uni en faisait la demande avant le 1er juillet 2020.
- un protocole relatif à l’Irlande du Nord, très difficilement négocié, visant à éviter le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande au terme de la période de transition, tout en garantissant l’effectivité des contrôles et des formalités relatifs aux échanges entre le marché unique des 27 et leur Union douanière, d’une part, le Royaume-Uni (auquel l’Irlande du nord continue d’appartenir), d’autre part. 

2. Quelles seront la situation du Royaume-Uni et les relations entre les partenaires économiques des deux parties à partir du 30 mars 2019 ?

- Sans préjudicie des dispositions spéciales figurant dans l’accord de retrait, notamment pour ce qui concerne les droits des personnes, le principe de base est que le droit de l’Union s’appliquera dans son intégralité au Royaume-Uni jusqu’au 31 décembre 2020. Ainsi devrait être assurée l’équite des conditions de concurrence, en particulier du point de vue règlementaire, fiscal, environnemental, social, ou des aides d’Etat. Tout développement ou enrichissement du droit de l’UE intervenant durant cette période s’imposera également au Royaume-Uni, nonobstant le fait qu’il ne participera plus à ces décisions, en n’appartenant plus aux institutions.
En d’autres termes et pour l’essentiel, les relations et les échanges entre les 27 et le Royaume-Uni resteront encadrées par les mêmes règles qu’actuellement pendant ces 21 mois. 
- La situation sera différente dès lors que le protocole relatif à l’Irlande entrera en vigueur, comme ce devrait normalement être le cas à partir de la fin de la période transition, jusqu’à son remplacement par les dispositions du statut futur du Royaume-Uni. Il a en effet été convenu que l’objectif de ne pas rétablir une frontière en Irlande serait atteint par une Union douanière entre le Royaume-Uni et l’UE, complétée par un alignement réglementaire de la seule Irlande du Nord sur le droit de l’Union.

3. Quel sera le statut futur, tel que préfiguré par la déclaration politique adoptée le 25 novembre ?

Le statut envisagé pour l’avenir associe un partenariat économique et un partenariat dans le domaine de la sécurité, tant intérieure qu’extérieure. - Sur le plan économique, l’objectif pour les marchandises est une relation « aussi étroite que possible, en vue de faciliter les échanges », sans pour autant reprendre le concept britannique de « frictionless trade ». Il faut relever dans ce contexte que le Royaume-Uni ne s’engage pas aujourd’hui à maintenir dans le futur un alignement réglementaire complet, et ne souscrit qu’à des engagements limités en matière de concurrence.
En matière de services, on relève que les services financiers relèveront bien d’un régime de décisions d’équivalence, tel qu’il existe dans le droit de l’Union. La déclaration confirme ainsi que les établissements britanniques ne bénéficieront plus, au terme de la période de transition, du « passeport européen ».
- Le Royaume-Uni confirme son intention de mettre fin à l’avenir à la libre circulation des personnes.
- La déclaration est particulièrement ambitieuse en matière de sécurité, et envisage une association du Royaume-Uni aux politiques de l’Union plus étroite que celle qui existe aujourd’hui avec tout autre Etat tiers, surtout en matière de politique de sécurité extérieure. Cependant, sa participation à certains instruments de coopération policière et judiciaire, comme son accès aux fichiers et bases de données, sont subordonnés à des conditions précises, comme la reconnaissance du rôle de la Cour de Justice.

4. Quelles seront les prochaines étapes ?

- Après son endossement le 25 novembre par les chefs d’Etat et de gouvernement des 27, l’accord de retrait doit être approuvé par le Parlement européen (et formellement entériné par le Conseil à la majorité qualifiée), ce qui ne devrait pas soulever de difficulté.  Du côté britannique, l’approbation implique une procédure très complexe qui devrait donner lieu à des votes successifs, dont trois aux Communes et un aux Lords. A ce stade, le gouvernement de T. May n’est pas assuré de réunir une majorité en faveur de cet accord ; un risque existe, en outre, que les Communes assortissent leur approbation de demandes d’amendements, alors que le Conseil européen a clairement établi qu’il n’accepterait pas de rouvrir des négociations sur le texte, y compris dans l’hypothèse où celui-ci serait rejeté par le parlement britannique.
- Les négociations sur le statut futur s’engageront entre l’UE et le Royaume-Uni devenu pays tiers, probablement dès le lendemain de son retrait, le 30 mars prochain. Dans cette perspective, des mandats de négociation seront élaborés au cours du premier trimestre 2019, sur la base de la déclaration politique adoptée le 25 novembre. Une fois conclu, l’accord définissant ce nouveau statut devra être ratifié par l’ensemble des 27 Etats membres (et le Royaume-Uni).

5. Quels sont les points qui méritent une vigilance particulière ?

Le risque d’une sortie sans accord n’est pas totalement écarté par les décisions prises ces derniers jours. Faute d’approbation par le parlement britannique en effet, l’accord de retrait et ses dispositions visant à assurer une sortie ordonnée seraient caducs, le Royaume-Uni deviendrait pleinement pays tiers dès le 30 mars 2019, sans aucune période de transition.
Des mesures unilatérales de précaution sont en cours de préparation pour faire face à une telle hypothèse, tant par la Commission que par les autorités françaises (par voie d’ordonnances) et le Royaume-Uni. Mais ces mesures n’apporteraient que des réponses partielles aux problèmes créés par une sortie sans accord. Aussi est il essentiel que les entreprises et les agents économiques continuent à se préparer à un tel scénario.
- La durée définitive de la période transitoire sera une question délicate. D’une part, il sera probablement difficile de négocier, conclure et ratifier, dans le délai de 21 mois actuellement prévu, l’accord définissant les nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’UE, ce qui milite en faveur d’une extension. D’autre part, le gouvernement britannique, en tout cas les forces politiques en faveur d’un leave franc et rapide, chercheront à l’éviter, car le maintien du Royaume-Uni dans l’Union douanière le privera de la possibilité de mener une politique commerciale extérieure autonome. Par ailleurs, l’accord de retrait prévoit que le Royaume-Uni, au cours d’une éventuelle extension de la transition, sera moins contraint à un strict respect du droit de l’Union et à un alignement règlementaire que pendant la période initiale, avec le risque de créer une altération des conditions de concurrence au détriment des 27. Cette éventuelle période d’extension devra donc être strictement bornée.
Compte tenu de ces incertitudes et de ces risques, les entreprises et les agents économiques devront intégrer dans leurs propres scénarios le fait que toute transition sera limitée dans le temps.
- La préparation du mandat de négociation qui sera confié à la Commission en vue de la mise au point du statut futur, ainsi que le déroulement de celle-ci appelleront un suivi très attentif, les enjeux principaux étant un principe de réciprocité des droits et avantages, le respect de l’autonomie de décision de l’UE, une garantie de préserver dans la durée un level playing field adéquat pour toutes les activités économiques concernées.

A propos de l'auteur :
Pierre Sellal est senior counsel chez August-Debouzy.



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