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Rénovation annoncée du régime des baux commerciaux

25 Février 2014
Aurélie Pouliguen-Mandrin et Nicolas Sidier
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A trois semaines du salon international du MIPIM, à Cannes, Economie et société revient sur le projet de loi Pinel, actuellement discuté à l’Assemblée Nationale. Voici ce qui va changer !



Ce projet de loi entraînera des changements significatifs dans la pratique des baux commerciaux, bien que le Ministère ait tenu à parler de « rénovation » plutôt que de « réforme »... Le régime des baux commerciaux est aménagé avec des règles d’indexation plus justes et de modalités plus adaptées aux très petites entreprises (TPE) du commerce et de l’artisanat » selon le projet, indiquant clairement qu’il vise expressément à protéger la situation des locataires.

Des changements significatifs

Le manque de prise en compte des contraintes des bailleurs et des investisseurs est de mauvais augure : objectivement, chacune des six mesures figurant dans le dossier de presse du Ministère promettent de nouvelles sources de difficultés contractuelles.

Dans ces conditions, l’on peut légitimement se demander si cette rénovation envisagée atteindra son but et permettra de maintenir « une offre commerciale et artisanale diversifiée sur les territoires », et l’amélioration de la situation locative des 770.000 entreprises du commerce, qui, selon le Ministère, représentent « 11 % du PIB et emploient 3 millions de salariés et 360.000 indépendants, [outre] le million d’entreprises de l’artisanat qui emploient 3 millions d’actifs ».

Mesure n° 1 : supprimer la référence à l’ILC

L’article 2 du projet de loi consacre l’utilisation de l’indice des loyers commerciaux (ILC) et de l’indice des activités tertiaires (ILAT) en supprimant la référence à l’indice du coût de la construction (ICC). Rappelons qu’à ce jour, le recours à l’ILC et à l’ILAT, n’ont qu’un caractère facultatif, chacun dans leur domaine propre :

• pour l’ILC : les activités commerciales et artisanales ;
• pour l’ILAT : les activités tertiaires autres et notamment les activités de bureaux, des professions libérales et des plates-formes logistiques.

Sur un plan purement économique, il paraît acquis que l’ICC varie davantage que l’ILC et que l’ILAT. Le projet de loi ne vise que les situations de renouvellement et de révision ; les clauses d’indexation n’étant pas concernées. Deux remarques :

1. l’une des caractéristiques significatives du statut des baux commerciaux est que son texte fondateur indique lesquelles de ses dispositions sont considérées comme étant d’ordre public. Si la révision triennale fait partie des dispositions concernées, en revanche, les modalités du renouvellement échappent à l’ordre public. L’on peut, donc, d’ores et déjà, envisager que, malgré l’intention clairement affichée du législateur, les parties pourront expressément y déroger en prévoyant l’application de l’ICC au loyer renouvelé.

2. Reste encore la situation des baux dérogatoires, voire des sous baux dérogatoires qui obéissent au régime spécifique de l’article L. 145-5 du code de commerce et échappent au statut des baux commerciaux. L’on pourrait donc envisager un recours systématique à l’ICC dans ces conventions dont le législateur devrait justement allonger la durée (voir infra, mesure n° 6).

Mesure n° 2 : la limite au déplafonnement du loyer

Le projet de loi instaure, en cas de déplafonnement, un mécanisme de lissage de la variation annuelle du loyer fixé à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédant la date d’effet dudit déplafonnement. Cette règle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des cas de révision et de renouvellement et jouera a priori à la hausse exclusivement. D’ores et déjà, sur le fond et indépendamment de la question de l’intérêt des bailleurs, les difficultés d’application paraissent nombreuses, à commencer par la notion de « loyer acquitté au cours de l’année précédente ». S’agit-il du loyer effectivement appelé et réglé ou du loyer qui aurait dû être appelé par référence à la notion de « fixation » visée aux articles L. 145-34et L. 145-38 du code de commerce ?

Dans certaines hypothèses, l’on peut envisager que par ce mécanisme, le loyer plafonné ne soit jamais atteint, et encore moins la valeur locative. Cela ouvrira la voie à un contentieux intermédiaire, c’est-à-dire en cours de lissage, car l’écart entre la valeur locative et la valeur plafonnée et lissée s’accentuera. Le texte prévoit que le lissage du déplafonnement serait exclu par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail ou au mode de fixation du loyer. Cela vise vraisemblablement l’hypothèse des baux d’une durée supérieure à neuf ans, qui trouveront peut-être, pour l’occasion, un second souffle. Il s’agit probablement également des baux de bureaux ou de locaux monovalents qui, en vertu des dispositions des articles R. 145-10 et R. 145-11 du code de commerce échappent aux règles relatives au plafonnement.

Cette disposition s’imposera en matière de révision. Il n’est donc pas évident que l’intérêt du locataire soit protégé par l’introduction de ce mécanisme objectivement complexe, d’autant que dans un contexte jurisprudentiel restreignant les hypothèses de déplafonnement, les bailleurs pourraient être tentés d’avoir recours à l’éviction pour revenir à une valeur locative aussi proche que possible de celle du marché. Il y a un artifice évident dans cette mesure qui au-delà de l’atteinte au consensualisme est un facteur d’insécurité juridique dont les locataires risquent d’être à leur insu les « dindons de la farce ».

Mesure n° 3 : modification des règles de récupération de charges

Il est envisagé l’insertion d’un article L. 145-40-2 qui prévoirait : « Tout contrat de location comporte un inventaire précis des catégories de charges liées à ce bail comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Cet inventaire donne lieu à un état récapitulatif annuel. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. Il précise celles des charges qui en raison de leur nature ne peuvent être imputées au locataire ». Un nouveau document serait donc créé, sous forme vraisemblablement d’annexe au bail, et donnerait lieu à un « état récapitulatif annuel ». Il est renvoyé à un décret d’application future pour la détermination des charges qui en raison de leur nature ne pourront être imputées au locataire. C’est en pratique un alignement sur la règle applicable en matière de baux d’habitation qui n’a que peu de sens dans une matière où la liberté contractuelle (encadrée certes) est la règle.

C’est surtout la mort du bail « triple net » qui est annoncée à travers cette mesure, ce qui constitue un bouleversement majeur pour nombre d’investisseurs. Sous couvert « d’améliorer l’information due au locataire et d’éviter des tensions liées à l’augmentation des charges », le projet introduit un remède bien pire que le mal, en ignorant volontairement la variété des motifs qui peuvent conduire un investisseur à retenir le bail triple net.

Mesure n° 4 : un état des lieux obligatoire à l’entrée

L’idée sous-jacente à laquelle on ne peut que souscrire est de rétablir un minimum de bonne foi dans certaines situations où les locataires sont victimes de la présomption : « S’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparation locative, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire ».

Nombre de locataires ont eu, à cet égard, de façon injuste, de véritables déconvenues face à des bailleurs de mauvaise foi, de sorte qu’il est sans doute heureux de considérer que l’absence d’état des lieux permettra d’écarter la présomption du Code civil.

Mesure n° 5 : droit de préemption du commerçant en cas de vente des murs.

Le projet d’article prévoit un formalisme strict permettant au locataire de faire valoir ses droits, et ce y compris dans l’hypothèse où son bailleur envisagerait finalement une vente à un prix inférieur à celui visé dans la notification.

À l’instar du dispositif existant en matière de baux d’habitation, le bailleur s’obligerait, à peine de nullité de la vente là également, à notifier une nouvelle fois à son locataire les conditions plus avantageuses dont il aurait pu bénéficier.
Cette mesure est d’autant moins critiquable qu’elle est enfermée dans de courts délais conformes aux délais de réalisation usuels pour ce type d’opérations.

Mesure n° 6 : allongement de la durée des baux dérogatoires à 3 ans

Premier article du projet de loi, l’idée sous-jacente est que : De plus en plus de jeunes entrepreneurs ont recours aux baux dérogatoires pour tester la viabilité économique de leur projet sans s’engager sur des investissements lourds et durables dans le cadre de baux commerciaux. Le plan d’action ministériel prévoyait qu’il ne pourrait être mis un terme au bail dérogatoire que par la délivrance d’un congé du bailleur. Cela est contraire à l’esprit de ces conventions et ne figure plus dans le projet de loi, ce dont il faut sans doute se réjouir.

Il n’en demeure pas moins que l’intérêt pour le locataire d’un bail dérogatoire plus long n’est pas évident, celui-ci risquant au contraire d’aménager les locaux qui lui seront loués en réalisant des investissements en pure perte. Le sentiment qui se dégage des quelques articles du projet concernant les baux commerciaux est donc que l’on s’approche davantage d’une injustice économique que de la recherche d’un équilibre contractuel. C’est souvent le propre de l’intervention du législateur dans le contrat. Il n’est pas évident que ce petit jeu soit sans conséquence, puisqu’à force de tordre le bras aux bailleurs et en premier lieu aux institutionnels, l’on en vient à les inciter à recourir à l’éviction, ce qui paraît être à l’opposé du but recherché.

A propos des auteurs : Aurélie Pouliguen-Mandrin et Nicolas Sidier sont avocats associés au cabinet Péchenard & Associés.




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