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L’hyper doit se réinventer : un travail de fond…

12 Octobre 2010
Philippe Moati
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L’hyper doit se réinventer : un travail de fond…
Les équipes de Carrefour ont donc rendu leur copie. L’ouverture fin août des deux "Carrefour Planet" d’Ecully et de Vénissieux est la première manifestation visible du plan « réinventer l’hypermarché pour enchanter nos clients » lancé par le numéro deux mondial de la distribution en 2009. La presse s’en est fait largement l’écho (assurant ainsi une belle promotion à l’enseigne…). Pour une visite en vidéo et en photo, je vous renvoie vers l’excellent site d’Olivier Dauvers, qui consacre sa dernière Tribune Grande Conso à l’évènement.

Si c’est Carrefour qui se trouve aujourd’hui sous les feux des projecteurs, les autres groupes d’hypermarchés ne sont pas inactifs. Auchan a lancé cette année Prixbas, un concept d’hypermarché discount et teste à Vélizy une nouvelle formule d’hyper qui a beaucoup de points en commun avec la mouture Carrefour Planet. Mais pourquoi donc s’échiner à réinventer l’hypermarché ?

C’est que l’hypermarché, cette figure de la grande distribution triomphante, va mal. Certes, rien de catastrophique. Les fermetures en chaîne ne sont pas à l’ordre de jour, et la faillite des grands acteurs du secteur encore moins. Il s’agit d’un mouvement de lente mais significative érosion des parts de marché du circuit. Cette érosion est observée sur le cœur de métier qu’est l’alimentaire, même si la situation s’est quelque peu améliorée sur ce front depuis plusieurs mois. La concurrence du hard-discount a souvent été mise en avant pour expliquer le recul. Mais l’érosion est également perceptible – et parfois très significativement – dans le non-alimentaire. L’habillement, l’électroménager, les produits culturels… sont particulièrement touchés, sans parler du bricolage et des articles de sport où les hypers, depuis plusieurs années déjà, ont jeté le gant.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Et, est-que les contrefeux allumés et qui se manifestent notamment par le lancement de nouvelles formules seront-il en mesure d’endiguer la tendance ? La première explication de cette érosion est à rechercher du côté de l'épuisement du potentiel de croissance d'un format qui, désormais, assure un maillage serré du territoire national. Le corollaire de la dynamique des parts de marché est le très sensible ralentissement de la croissance du parc de points de vente, dont l'essentiel est, depuis plusieurs années déjà, assuré par la transformation de supermarchés en hypermarchés. SI cette première explication peut expliquer le ralentissement de la croissance, elle ne suffit pas à rendre compte de la tendance à la perte de parts de marché.
Un autre faisceau d'explications du recul des hypers tient au déphasage qui s'est progressivement affirmé entre les caractéristiques du format et un certain nombre d'évolutions sociétales.

Sur le plan démographique, la réduction de la taille des ménages et le vieillissement de la population commence à mettre un terme à la massification des achats. Le couple bi-actif avec deux enfants, habitant en périphérie et se déplaçant en automobile, s’il existe toujours, n’est plus hégémonique dans le profil sociodémographique de la clientèle.

En son temps, l’hypermarché a incarné la modernité et l’abondance matérielle

Sur un plan plus immatériel, l'hypermarché a en son temps incarné la modernité, l’abondance matérielle pour chacun (après des années de pénurie), le bonheur dans la consommation. Les consommateurs d’aujourd’hui ne sont pas sensibles aux mêmes imaginaires. L’hyper a perdu de sa magie. Il est au contraire de plus en plus perçu comme inhumain, peu confortable, et poussant à la dépense. Bref, pour beaucoup, le fréquenter est désormais perçu comme s’inscrivant dans la logique de la corvée, une corvée que l’on cherche à éviter en développant d’autres stratégies d’approvisionnement (ce qui profite, notamment, au e-commerce).

La flambée du prix de l’essence intervenue en 2007-2008, si l’on en croit les distributeurs eux-mêmes, aurait révélé un autre talon d’Achille de l’hyper : le coût tendanciellement croissant de la mobilité automobile, que les consommateurs intégreraient dans le calcul du prix des courses et conduirait à des arbitrages favorisant les forme de vente de proximité. Mais le mal est sans doute plus profond encore. L'hypermarché éprouve des difficultés à passer de la distribution de masse au commerce de précision, pour reprendre l’heureuse expression de Jean-Charles Naouri, le patron du groupe Casino.

La formule s’est bâtie autour de l’idée de satisfaire au meilleur prix les besoins d’une classe moyenne alors en rapide croissance démographique et économique, et constituant une clientèle très homogène sur le plan des attentes et des comportements. Depuis, la société a considérablement changé et la structure sociale s’est complexifiée. Il existe encore – et il existera toujours – une classe moyenne, au sens de l’échelle des revenus. Mais sur le plan sociologique, le passage à une société de personnes, a conduit à une formidable différenciation des valeurs, des modes de pensée, des registres d’action, des imaginaires, des aspirations… et au final des attentes et des comportements de consommation au sein de cette population.

L’hyper souffre donc de la concurrence multiforme

Continuer à cibler la fameuse ménagère de moins de 50 ans, qui a pu être dans le passé la figure exprimant les attentes de millions de consommateurs, ne représente plus aujourd’hui qu’un segment de marché lui-même bien peu homogène. Le grand défi que le commerce affronte depuis plusieurs années déjà est de réussir à s’adapter à cette hétérogénéité de la demande, et de créer ainsi un commerce de précision. Archétype de la distribution de masse, l’hyper est doublement handicapé dans cette transition : 1) par l’inertie mentale qui, classiquement, caractérise des entreprises ayant connu une croissance spectaculaire par l’application rigoureuse d’un modèle économique et qui occupent une position de leader sur leur marché et 2) parce que la massification est au cœur du modèle économique, et que la taille des points de vente ne permet pas de choisir ses clients, d’adopter de partis prix différenciateur permettant de capter la préférence de cibles précisément définies au risque de perdre la clientèles d’autres catégories de consommateurs.

L’hyper souffre donc de la concurrence multiforme des concepts misant sur la segmentation /différenciation, qui proposent une offre commerciale répondant avec plus de pertinence à la spécificité de chaque type d'attentes. Par exemple, dans l’alimentaire, le hard-discount a ainsi réussi à capter la clientèle des hypers la plus sensible aux prix. Mais, l'évasion s'opère également en direction des enseignes de produits bio, des concepts positionnés sur la praticité, des enseignes exploitant le registre de la gourmandise... Le même phénomène explique le recul des hypers sur la plupart des grandes familles de produits non-alimentaires : les grandes enseignes de l'habillement (Zara, H&M, Etam, Un jour Ailleurs, Jenyfer...), chacune en labourant un périmètre qui lui est propre, assurent collectivement un traitement intensif du marché qui met en difficulté l'offre "holistique" des hypermarchés. Les hypermarchés sont ainsi confrontés au défi du délicat passage du "plaire à tous" au "plaire à chacun".

Un temps sous-estimée, la crise de l'hyper est désormais prise au sérieux par les groupes de la distribution alimentaire qui, chacun à sa manière, réfléchissent à la manière de relancer la dynamique du format et procèdent à des expérimentations. Le démarche lancée par Carrefour en 2009 et dont les magasins de la région de Lyon sont donc un premier aboutissement se déploie autour de 5 axes : passer de courses pénibles à des courses plaisir, enrichir le service commercial, développer les rayons de produits frais, animer le point de vente, et affirmer une vocation de spécialiste sur chaque catégorie de produits traités. Les origines du mal semblent donc avoir été comprises.

La stratégie du couteau suisse

L’hyper doit se réinventer : un travail de fond…
La réforme de l’hyper semble emprunter deux voies principales. La première consiste dans la mise en œuvre de ce que nous avons proposé d’appeler la « stratégie du couteau suisse ». Elle consiste, au sein du point de vente, à tenter de répondre à la diversité des attentes en jouant sur la composition des assortiments, en créant des zones spécifiques visant tel ou tel type de clients. C’est ainsi, par exemple, que Auchan a implanté au cœur même de ses hypers des espaces « Self-discount » ciblant les populations les plus sensibles aux prix afin d’enrayer leur évasion vers le hard-discount. L’hyper Géant d’Odysseum comporte en sein, dès l’entrée du magasin, un espace bio, un « shop in the shop » permettant de capter la clientèle sensibles à cet univers de consommation en leur offrant un accès facile aux produits recherchés sans avoir à parcourir l’ensemble de la grande surface. De la même manière, les espaces Hallal et Casher se multiplient, les rayons habillement se déclinent par style… La stratégie du couteau suisse s'exprime dans la composition de l'assortiment, la politique de prix, l'aménagement différencié des zones du point qui tend ainsi à se compartimenter...

Une dernière voie d'adaptation consiste à mettre fin au caractère très homogène du format, en créant différents concepts d'hypermarchés faisant entrer le format à son tour dans la logique de la segmentation /différenciation. Là encore, Auchan est fer de lance : une distance considérable sépare la nouvelle mouture de l'hyper de Vélizy - très centrée sur le choix, le confort d'achat, l'animation... - et la nouvelle enseigne, Pribas, qui s'efforce d'adapter le concept hard-discount à l'hypermarché. A ce titre, il semble douteux que le Carrefour Planet devienne le modèle vers lequel seraient appelés à converger l’ensemble des hypers Carrefour. L’étape suivante de la stratégie de Carrefour devrait être le lancement d’un autre concept d’hyper, sans doute davantage centré sur les prix bas.

Le non-alimentaire, le premier sacrifié

À ce jour, ces différentes voies d'adaptation n'ont pas encore suffi à retourner la tendance à l'érosion des parts de marché, tout au moins dans le non-alimentaire. Le recul manque encore pour juger réellement de leur pertinence et, plus généralement, du caractère "réformable" de l'hyper. En tout état de cause, certains groupes de la grande distribution alimentaire ont commencé à réduire la voilure, principalement en diminuant la surface de points de vente de grande taille, préférant à un maigre rendement au mètre carré des revenus élevés issus de la location des surfaces ainsi libérées. C'est le non-alimentaire qui est alors sacrifié, avec une réduction importante de la surface accordée aux rayons souffrant du plus faible rendement.

Professeur d’économie à l’Université Paris-Diderot, Philippe Moati est aussi directeur de recherche au Credoc. Ses recherches portent sur la compréhension des transformations du système productif. Il est un spécialiste de la distribution et des comportements de consommation.



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