Pour une nouvelle approche de la mesure des risques

24 Mai 2013
Hugues Le Maire



La crise mondiale débutée en 2008 et dont on sort progressivement, a totalement modifié la notion de risque et de gestion par les risques. En Europe notamment, la réponse à cette crise d’endettement excessif des acteurs privés, a été un transfert massif des dettes vers les États, qui sont ainsi venus au secours des entreprises, des ménages et des banques. Fragilisés, les États par nature réputés « sans risque » sont devenus, pour certains, des acteurs risqués, remettant en cause une notion qui constituait la clé de voute de la gestion de portefeuille : celle de « taux sans risque ». Dès lors, de nouvelles approches de la mesure du risque s’imposent…

Des modèles qui montrent leurs limites

Dans des marchés en proie à l’incertitude et à des rotations sectorielles profondes et récurrentes, il convient de définir un cadre de risque adapté. Or, les approches jusque-là utilisées, même les plus élaborées, ont montré leurs limites. Par exemple, l’approche de la value-at-risk qui fixe une limite de perte pouvant être dépassée, avec une probabilité associée, est à revoir. Quid de l’ampleur de la perte une fois le seuil dépassé ? Des épisodes tels que le risque de faillite d’American International Group (AIG), dans le prolongement de la faillite de Lehman Brothers ont montré que le risque encouru était un écroulement pur et simple du système financier, avec des pertes illimitées. Dès lors, les modèles de pertes théoriques démontraient leurs limites.

À partir de mai 2010, c’est la notion de taux sans risque qui est remise en cause, avec le défaut de la Grèce. En août 2011, l’abaissement de la notation des Etats-Unis par Standard & Poor’s, alors que le pays dispose de la devise la plus recherchée au monde et qu’il peut créer de la monnaie sans limite, s’inscrit dans la même veine. Construction des produits structurés, optimisation de portefeuille dans un modèle type Markowitz… la notion de « taux sans risque », qui trouvait son application dans de nombreux modèles de gestion des risques est à repenser. D’autres approches doivent à présent être utilisées.

De nouveaux indicateurs

L’étude d’un faisceau d’indicateurs de risque devrait permettre, une fois agrégés, de caractériser l’environnement de risque. C’est la détermination de cet environnement de risque qui permet de déployer le capital. Les indicateurs ainsi sélectionnés sont agrégés en établissant une simple moyenne mobile de leurs niveaux. Ce n’est pas tant l’agrégation qui importe, que la sélection des indicateurs eux-mêmes. Les indicateurs appartiennent aux cinq grands groupes suivants :

- Volatilité implicite. La volatilité implicitement cotée dans les cours des actions, des devises ou des taux, constitue un indicateur fiable de l’aversion au risque des acteurs de marché.

- Risque interbancaire et liquidité de marché. Le risque interbancaire est mesurable par le taux interbancaire au jour le jour. Au sein de la zone euro, le niveau de l’Eonia et sa volatilité fournissent des informations essentielles sur la santé du secteur bancaire. Il faut comparer ce taux à ceux offerts aux guichets de la Banque Centrale Européenne. Par ailleurs, les taux de swaps, à différents niveaux, sont juges de la confiance mutuelle que s’accordent les banques. Enfin, on pourra inclure dans cette analyse monétariste la taille du bilan des banques centrales et leur évolution, ainsi que l’analyse des agrégats monétaires principaux.

- Spreads de crédit et de taux. Les spreads de crédit doivent faire l’objet d’un suivi précis, car plus le marché du crédit est efficient, moins volatil est celui des actions. Les spreads de crédit dépendent de la capacité de la société à rembourser ses dettes alors que le cours d’une action dépend de l’évolution des résultats trimestriels et de sa capacité à rémunérer les actionnaires par le biais du dividende. Depuis 2010, un suivi des « spreads » souverains européens s’impose à cause du dysfonctionnement de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (impossibilité pour la BCE d’être prêteur en dernier ressort aux Etats).

- Devises. Certaines devises permettent de mesurer l’aversion au risque : les devises du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande sont dites « matières premières » ; les devises dites « sans risque », par exemple typiquement le Franc suisse. Enfin, les devises dites de « carry », le Yen japonais étant la plus représentative.

- Structure sectorielle des indices et indicateurs d’aversion au risque. Une mesure du risque pertinente consiste à analyser précisément les structures sectorielles des indices, c’est-à-dire le comportement des différents secteurs du marché en fonction de leur sensibilité au cycle économique. Des indicateurs de marché comme le sentiment de marché des investisseurs privés peuvent venir compléter l’analyse.

Rester objectif

L’agrégation de ces indicateurs de risque considérés comme représentatifs (nous pouvons en compter plus de vingt au total) permet de caractériser et de mesurer, objectivement, l’environnement de risque. Il s’agit réellement d’une approche par signaux concordants, permettant d’adapter la prise de risque sur les marchés. Cette lecture à la fois simple, précise et rigoureuse, et surtout continue – dans la mesure où l’on ne travaille pas avec un ou deux résultats figés, mais avec l’ensemble des données, en continu et en tendance – est favorable à l’anticipation d’un certain nombre de mouvements de marché.

À propos de l’auteur : Hugues Le Maire est directeur général de Diamant Bleu Gestion, société de gestion.

Hugues Le Maire