Le magasin n'est pas mort

28 Janvier 2016
Eric Duval

La digitalisation des magasins physiques peut sonner comme une contradiction dans les termes. Il n'en est rien. L'avenir du "retail" réside dans la convergence de "l'online" et de "l'offline". Le magasin de demain sera "phygital" ou ne sera pas.



J'accompagne au quotidien avec mes équipes, les enseignes. J'ai vu, ces dernières années, certaines enseignes se ruer vers le digital sans vision stratégique. J'ai découvert combien le digital impose l'humilité. En la matière, difficile d'avoir des certitudes. Reste, que les magasins sont aujourd'hui à la veille d'un cycle de rafraichissement salutaire. Contrairement à une légende urbaine, le magasin n'est pas mort. Le digital ne l'a ni tué, ni remplacé. Internet n'a pas transformé les magasins en musées. Internet ne les a pas non plus transformés en cabines d'essayage pour plateforme digitale.

Réinventer un modèle

Le temps réel a changé la donne commerciale. Le digital et la mobilité ont imposé l'omnicanal. Aujourd'hui, la journée shopping commence par le repérage d'un produit dans une newsletter reçue par mail, passe par des comparateurs de prix en ligne et continue en magasin pour le découvrir tout en surfant en ligne pour retrouver des avis de consommateurs avant d'acheter l'article. Les enseignes ont aujourd'hui tous les leviers en main pour proposer l'expérience d'achat la plus innovante et la plus marquante aux consommateurs. C'est à cette condition qu'elles réussiront à sauvegarder leurs réseaux de boutiques physiques. Je voudrais tout d'abord rappeler une réalité : si internet est dans tous les esprits, la majorité des ventes au détail se font sans lui.

En effet, plus de 9 ventes au détail sur 10 se font physiquement. J'ai acquis la conviction, que l'alternative n'est pas entre la dégradation des marges en magasins et leur disparition. Au contraire, j'observe que certaines enseignes ont saisi l'opportunité du digital pour renforcer leur réseau de boutiques en réinventant leur modèle. Les magasins doivent aujourd'hui se reconcentrer sur ce qui a fait leur succès pour se démarquer. Les dernières soldes ont montré comment le digital pouvait appuyer ce renouveau. Des enseignes se sont ainsi alliées en proposant de réserver en ligne et d'aller ensuite essayer son vêtement ou toucher son objet en magasin avant de l'acheter. Des cabines d'essayage dédiées et des points de click and collect ayant été installés. Une caisse réservée ou un bon permettant de ne pas faire la queue étaient aussi de l'aventure.

Quand j'entends certains reprocher au consommateur de vérifier les prix, en boutique, sur son smartphone, j'ai envie de répondre : quoi de plus normal ? Le problème n'est-il pas plutôt qu'entre deux commerces de la même enseigne, l'un en ligne, l'autre physique, les prix ne soient pas harmonisés ? La clé du succès est d'offrir aux clients une valeur supplémentaire en termes de confort d'achat et d'expérience. Les enseignes doivent lier leurs univers en ligne et hors ligne et mettre en œuvre une stratégie omnicanale qui les différencie clairement de la concurrence. C'est ce qui leur permettra de faire la différence avec les acteurs entièrement digitaux.

Soigner la relation avec le client

Quant aux centres commerciaux, leur digitalisation n'a jusque-là pas été un franc succès et les alliances parfois courageusement tentées ont échoué. Peut-être avons-nous loupé l'essentiel à savoir l'expérience. Qu'a-t-on fait de l'achat coup de cœur ? Qu'a-t-on fait de la relation entre le client et l'enseigne ? Les clients nous disent où est l'essentiel, à leurs yeux. L'accueil d'abord. 67% privilégient l'accueil et le conseil. Un sur trois nous demande des magasins plus accueillants et attractifs. Faire vivre une expérience online c'est bien, mais si le réel ne suit pas, à quoi servent ces investissements digitaux massifs ?

Le digital doit désormais permettre d'offrir aux vendeurs les moyens de mieux vendre en ayant toute l'information sur les produits disponibles sur des équipements mobiles. Il faut soigner la relation avec le client, l'accueillir plus chaleureusement et mieux le conseiller. Le magasin physique ne doit pas se dissoudre dans le digital. Il doit entamer sa mue et améliorer son espace. Les enseignes doivent notamment apprendre à mieux collecter les données personnelles en magasin. Cela se fait aisément par des iPads posés en cabines par exemple permettant aux clients d'immortaliser leurs essayages, de laisser des avis ou commentaires, etc... Comment comprendre que les enseignes soient si nombreuses à se concentrer sur l'idée de faire vivre aux consommateurs une expérience en ligne tout en ne se penchant que trop peu sur l'idée de révolutionner l'expérience vécue dans leurs magasins ?

Une expérience ne peut être que globale. Le consommateur vit une expérience avec une enseigne sur tous les canaux en même temps. Il n'y a pas de distinction à faire entre l'expérience vécue en magasin et celle vécue sur twitter pour une raison simple : il n'y a pas une réalité twitter et une réalité physique, il y a désormais une seule réalité. Les enseignes ont certainement intérêt à équiper leurs magasins de geofencing, cette technologie qui permet d'envoyer des messages ou notifications push aux clients lors de leurs entrées ou départs des magasins. Cette technologie nous rappelle que c'est bien le mobile qui est le pont entre le digital et le physique qui ne doivent sous aucun prétexte être traités comme deux silos étanches.

Le digital souligne les faiblesses du commerce physique

La technologie peut nous garantir une chose : les enseignes n'ont jamais eu autant de chances, non seulement, de faire revenir les clients en boutique mais aussi d'en attirer de nouveaux. L'achat en boutique doit être facilité. Afin de ne pas vivre le calvaire des files d'attente en caisse, tous les vendeurs doivent pouvoir encaisser immédiatement, dans tout le magasin. Enfin, les enseignes doivent proposer des services ou des promotions exclusivement réservés aux achats en boutique. Des offres exclusivement disponibles en magasins doivent être proposées, les sont encore bien peu nombreuses. L'innovation a ouvert la voie à des opérations de paiement dématérialisé, plus sûres et plus efficaces, comme l'application Lydia.

Les nouveaux logiciels de traitement de paiement peuvent aussi aujourd'hui agréger de nombreuses données clients permettant d'améliorer le processus d'achat. Si les enseignes ne veulent pas voir leurs magasins irrémédiablement dépassés, elles doivent réagir et montrer aux clients en quoi passer en boutique est intéressant. L'innovation doit permettre aux enseignes de créer les nouvelles expériences d'achat qui feront revenir les clients en magasins. Le digital n'a pas encore remplacé le magasin physique, il en a seulement souligné les faiblesses actuelles. Si les 30 dernières années ont vu des développements spectaculaires dans la façon dont les enseignes fonctionnent et interagissent avec leurs clients, les possibilités générées par l'Internet et la technologie numérique se sont multipliées, des accessoires de mode imprimés à la volée grâce aux imprimantes 3D en passant par le « big data » comme source d'amélioration de la connaissance de la clientèle. Saisissons-les.

A propos de l'auteur : Eric Duval est président du Groupe Financière Duval et Gérant de Patrimoine & Commerce.

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