Comment investir au Qatar

28 Mai 2013
Pierre Marie Relecom



Petit préambule sur ce qu’est le Qatar : petit bout de désert à la frontière de l’Arabie et proche des Émirats, en face de l’Iran et qui recèle aujourd’hui quelques une des plus grandes réserves de gaz LNG au monde. Son voisin d’en face s’appelle l’Iran (et partage un bout de ces champs gaziers)… 1 900 000 habitants, 200 000 qataris, 70 000 personnes locales qui travaillent et réellement une centaine qui tiennent les rênes du pays.

Trop d’argent...

Ces 100 qui tiennent le pays, ont étudié, pour la plupart, en Angleterre ou aux États-Unis et sont pour certains des proches du Prince héritier ; mais ils ne sont pas pour autant tous issus d’une grande famille. Ainsi, si l’on retrouve le Sheikh Farhad al Attyiah à la tête de l’important Qatar National Food Security Program, l’on peut aussi citer le très respecté ingénieur Ghanim Al Ibrahim qui a été le porteur du projet Railways, Assad El Thawadi à la tête du comité Qatar 2022 ou Nasser Al-Khelaïfi, ancien joueur de tennis et désormais figure incontournable au Qatar, puisqu’il est directeur général d'Al Jazeera Sport et Président du Paris Saint-Germain.

L’Emir a voulu mettre à profit l’argent du gaz naturel liquéfié pour permettre à son peuple de rentrer de plein pied dans le 21è siècle. Le revers de la médaille est une jeune génération qui a tout ce qu’elle souhaite sans effort comme ses parents. Cette oisiveté a plusieurs conséquences sociétales et économiques : à la fois la perte de l’intelligence intuitive mais également l’apparition de l’obésité ! A tel point que l’Etat du Qatar va jusqu’à payer les jeunes qataris pour leur faire pratiquer du sport.

De plus, le monde entier se prosterne devant ce petit émirat, espérant pouvoir profiter de sa manne gazière qui coulera à flot pour encore une bonne trentaine d’années. Une fois que l’on a ces quelques éléments en tête, peut-être est-il plus simple de comprendre et d’appréhender le business avec les Qataris.

Investir au Qatar

Toutefois, on parle beaucoup des investissements qataris en France mais qu’en est-il des Français au Qatar ? La situation économique dans l’UE est-elle à ce point bien portante que l’on peut faire l’impasse sur des pays à fort potentiels, comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite ? J’ai le privilège d’accompagner quelques groupes dans leur développement à l’International et, à part le Qatar, je ne connais que l’Arabie Saoudite qui supplante ce petit émirat en termes d’opportunités de business. Ils ont entre USD 50 et 70 milliards à investir tous les ans qui sont autofinancés par le LNG.

Aussi, il me semble des plus à-propos que l’on s’y intéresse d’un peu plus près et que nos entreprises françaises aient le soutien qu’elles méritent. Nos concurrents, qu’ils proviennent d’Asie, d’Europe, d’Amériques (Nord et Sud) l’ont bien intégré et les Etats soutiennent efficacement et durablement leurs entreprises en envoyant, en sus de la représentation locale, des délégations régulières de ministres ou PM de premier plan.

Sous l’ancienne présidence, il avait été d’ailleurs donné comme mot d’ordre d’occuper le terrain et qu’un ministre devait s’y rendre une fois par mois en vue de préparer le lancement des grands appels d’offres de demain. Et c’est maintenant, là, en 2013 que tout se joue pour le fameux Qatar 2022 (la coupe du monde de football pour ceux qui ne suivent pas).

L’importance de la diplomatie

Depuis le 6 mai 2012, seuls Monsieur Fabius et Madame Bricq y ont fait une halte de tout au plus 24 heures quand le 1er ministre japonais vient 72 heures pour négocier une extension de 200 000 barils à son contrat de GN, alors que c’est le plus gros acheteur de LNG au Qatar, et de loin ! Alors, qu’en sera-t-il de ce voyage présidentiel qui se tiendra, comme l’annonce Libération, en pleines vacances de pré-ramadan, à Doha…

Il est quelques bases essentielles dont il faudrait peut-être intégrer si l’on souhaite faciliter le développement de nos entreprises dans cette région et particulièrement au Qatar. Tout d’abord et c’est la base de tout échange dans ce pays : « c’est Dieu qui s’adresse à Dieu » ! C’est ce que l’on appelle un pays en « top-down ». Selon l’évangile de Saint-Jean « Et au commencement était le verbe »… Ici le verbe doit être porté par le plus haut représentant de l’entité visiteuse afin qu’elle soit reçue par les plus hautes autorités. Et qu’elle crée une empathie, un lien de confiance durable, et de loyauté.

Contrairement à chez nous, les dirigeants ne « jouent » pas à cinq ans dans l’espoir d’être réélus. L’objectif de l’émir est de pouvoir porter son pays pendant très longtemps et ensuite de transmettre le flambeau à son fils. Il travaille donc en permanence à l’équilibre des clans. On peut ainsi en compter 4 que j’appelle « les 4 chapelles ». Et le jeu de carte est présentement en train d’être redistribué dans les mains de la jeune génération. A chaque clan ses filières, secteurs d’activités associés. En fonction du secteur d’activité, le bon interlocuteur n’est donc jamais le même. Et attention à ne pas confondre le pouvoir politique des intérêts économiques, tant les deux sont intimement liés. Mais seul le pouvoir politique comptera à la fin…

Des projets de long terme

Chacun l’a maintenant compris ou lu à répétions, les qataris n’ont aucun problème de financement. Ne serait-ce que pour la coupe du monde 2022, ils vont investir environ USD 300 milliards rien que pour les infrastructures. Donc s’ils investissent autant à l’étranger, c’est simplement qu’ils ont 70 milliards de dollars net à dépenser tous les ans.

Et ce n’est pas parce qu’ils investissent dans le capital d’entreprises étrangères, qu’ils aideront celles-ci à se développer pour autant au Qatar… Il ne faut donc pas se tromper lorsque l’on souhaite se développer au Qatar : un intérêt économique mais n’est pas la preuve d’un partenariat stratégique… Si l’on va au Qatar aujourd’hui, c’est avec un vrai projet de long terme qui réponde à leurs problématiques, à leurs enjeux. Les qataris en ont plus qu’assez de se faire draguer par le monde entier, pour leur argent uniquement, sans que l’on s’intéresse ni à leurs préoccupations présentes, ni à leur futur.

Aujourd’hui, les qataris veulent qu’on leur démontre qu’on les aime pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils ont. Bref, une démonstration d’amour pour le long terme et des projets de développement durable. Prenez le nouveau programme de la Sheikha Mozah, Educate a Child… Ou comment donner une chance à 10 millions d’enfants subsahariens de s’éduquer. Elle s’y est engagée, et elle le fera avec ou sans "notre" aide.

Une concurrence mondiale

Par courtoisie et par souci d’efficacité, je recommande aux français qui séjournent au Qatar d’y passer à minima une semaine et de ne jamais dire quand ils repartent. Il faut toujours être prêt à louper son avion… Avant d’être invité sous la tente, on doit passer beaucoup de temps avec les qataris, créer l’empathie. Une fois la confiance nouée, les sujets concrets pourront être abordés. Passer du temps, être prêt à bouleverser son agenda, c’est leur montrer que l’on a envie d’être avec eux.

Il ne faut pas perdre de vue que la concurrence est mondiale, le monde entier est à leurs pieds, donc si ce ne sont pas les français qui le font ; d’autres le feront. Et le font déjà d’ailleurs et plutôt bien. Je pense notamment aux pays comme le Brésil, la Corée, la Chine, le Japon, la Turquie, l’Allemagne ou les États-Unis qui envoient tous les mois des délégations, officielles ou non, pour soutenir localement les actions de leurs entreprises.

Aujourd’hui, le Qatar est face à d’importants enjeux et les opportunités pour nos entreprises ne manquent pas ; mais elles ont besoin d’un appui fort de notre gouvernement. Au Qatar, le soutien institutionnel est indispensable. Si les entreprises françaises n’ont pas un fort soutien de nos politiques, les qataris ne vont pas comprendre et penseront que ladite entreprise n’est pas la bonne car non soutenue par les plus hautes autorités.

Comme je le disais, il y a des enjeux importants dans des secteurs fleurons de notre industrie ; à nous de savoir nous positionner face à la concurrence turque ou coréenne. On peut citer le secteur de la construction, des infrastructures, mais également les secteurs de l’éducation, du transport, de l’agroalimentaire (Qatar national Food Security Programm : 64 milliards de dollars d’investissement), de l’eau ou encore des énergies alternatives. En effet, la femme de l’Emir a la volonté de faire du Qatar le premier pays « vert » du Moyen-Orient.

Saisir les opportunités

En fait, 2013 est une année charnière. Dans le secteur des transports par exemple, les grands contrats pour la coupe du monde de 2022 doivent être initiés cette année sinon ils ne seront pas prêts et les Qatari en ont conscience. En ce qui concerne l’eau, on parle de pénurie dès la fin 2014. Face à une consommation en hausse de 20% par an, pour la première fois, ce pays arabe est confronté à une deadline. Notion qu’il n’a pas l’habitude d’appréhender. Il est donc demandeur de conseils et de soutiens. (le français consomme 400 litres par jour, le Qatari 1 000 litres)

Alors face à toutes ces opportunités, que dire aux entreprises françaises ? La France a d’énormes atouts. Son plus gros défaut est de ne pas savoir les vendre en pêchant par son arrogance, sa suffisance à l’égard de ses interlocuteurs. Trop peu de PDG du CAC 40 viennent régulièrement, trop peu de nos gouvernants prennent du temps au Qatar. Il faut arrêter les sauts de puce entre Paris et Doha. Le développement d’affaires au Qatar ne s’effectue pas depuis Paris, mais depuis Doha !

À propos de l'auteur : Pierre Marie Relecom est président fondateur du cabinet Relecom & Partners.

Pierre Marie Relecom