Quelle sera l'énergie de demain ? Le cas allemand

23 Septembre 2014
Yves Garipuy



Alors que la menace de réchauffement climatique s’amplifie, et que la raréfaction des hydrocarbures n’est plus une menace lointaine, deux énergies seulement pourraient prendre la relève des énergies fossiles: le nucléaire et le renouvelable (principalement éolien et photovoltaïque). Une expérience significative a déjà été accumulée sur ces deux énergies, et il est opportun de chercher à en tirer des enseignements. Pour cette troisième semaine, Economie et société revient sur le cas allemand.

La part du renouvelable est de seulement 13 %

Le projet allemand a été conçu de façon erronée, puisque les objectifs assignés à l’ « Energiewende » (tournant énergétique), visaient à faire passer la part de la production "renouvelable" d'électricité à 80% en 2050, alors qu’elle ne pouvait pas dépasser le facteur de charge des énergies concernées (essentiellement éolien et photovoltaïque), qui est pour l’Allemagne de 30% (33% pour la France). D’ailleurs aujourd’hui, à mi-parcours, la part du renouvelable en Allemagne est seulement de 13%.

Les Verts allemands ont su convaincre les dirigeants du pays, puisque Angela Merkel avait déclaré le 29 octobre 2004, alors qu’elle était chef de la CDU et avant de devenir chancelière (hôtel Hyatt, Cologne) : 
« Auf die Dauer gibt es so viele Profiteure der Windenergie, dass Sie keine Mehrheiten mehr finden, um das noch einzuschränken »  -  à la longue, il y aura tellement de bénéficiaires de la politique en matière d’énergie éolienne qu’il deviendra impossible de trouver une majorité pour y mettre une borne. Aujourd’hui, 10 ans après, les allemands ont bien travaillé, réalisant déjà la moitié du plan. Mais, semble-t-il, c’est déjà l’heure de la désillusion. Le vice-chancelier Sigmar Gabriel, en charge de l’énergie, est furieux : « l’Energiewende est une folie », le plan est irréalisable, nous sommes la risée du monde entier…

Des objectifs irréalisables

L’Allemagne a déjà dépensé 500 milliards d’euros (chiffre qui correspond à la redevance payée par les consommateurs particuliers, 23 Md€/an actuellement, avec une prévision de 28 Md€ en 2015, pendant une durée de 20 ans). Ces dépenses sont en ligne avec les estimations du précédent ministre de l’environnement Peter Altmaier, qui avait déclaré le 19 février 2012 au Frankfurter Allgemeine Zeitung que le coût des investissements à réaliser pour la transition énergétique d’ici 2030 était de 1000 milliards d’euros. Il faudrait y rajouter, d’après Siemens, 400 à 700 Md€, principalement pour le renforcement du réseau de transport d’électricité. Et les résultats sont décevants:

- l’objectif de 80% d’électricité d’origine renouvelable est irréalisable.
- le prix de l’électricité a déjà doublé pour les particuliers.
- les ENR créent une consommation supplémentaire de gaz pour compenser les variations rapides de vent.
- les ENR ne pourront produire au maximum que 30% de l’électricité. Les 70% restant seront  fournis par du lignite principalement, un produit très peu écologique (dévastation des sites d’extraction, pollution thermique dû au CO2 émis, pollution cancérigène due aux métaux lourds et aux particules fines émis par la combustion de ce charbon de mauvaise qualité). Il est même question d’importer du charbon.
- avec l’arrêt des centrales nucléaires, le taux de CO2 va augmenter (c’est déjà le cas), contrairement aux engagements internationaux de l’Allemagne.

Des aberrations économiques

La priorité donnée aux ENR quand elles produisent (il serait absurde de subventionner une énergie et de ne pas l’utiliser prioritairement) conduit à des aberrations économiques :

- les moyens complémentaires de production d’électricité ne fonctionnent pas à pleine charge, ce qui rend leur exploitation déficitaire. Leur fermeture pour raison de surcoût crée un déficit de puissance en cas de grand froid, avec un risque d’effondrement du réseau européen (pour parer cet évènement pendant l’hiver       2013-2014, il a fallu remettre en service des centrales nucléaires fermées).                  
- lorsque le vent souffle de façon soutenue, on doit parfois vendre l’électricité à un prix négatif.

- les producteurs d’électricité allemands, naguère prospères, ont des difficultés financières actuellement (EON, a perdu 129 M€ au 3ème trimestre 2013, et va   supprimer 11000 postes d’ici 2015, et RWE a perdu 2,8 Md€ en 2013).
- les industries locales d’ENR souffrent de la concurrence chinoise, et de nombreux établissements doivent fermer.
 
Pour l’avenir, l’augmentation de la fourniture intermittente des ENR accroitra le besoin en turbines à gaz pour stabiliser le réseau, et elles ne fonctionneront que partiellement. Cette inactivité relative coûte très cher aux producteurs, qui demandent une aide supplémentaire de l’Etat, refusée jusqu’à présent. Les dirigeants allemands sont au courant de la situation. Que décideront-ils ?

Yves Garipuy