La BCE et la souveraineté

12 Septembre 2012
Marc Albert Chaigneau



La BCE va racheter les dettes des états européens en difficulté sur les marchés et ainsi sauver l’euro. Pour certains, c’est le bon choix qui pourrait assurer le miracle : sauver l’Euro. Mais à quel prix, à quelles conditions ? Avec quelles conséquences ? Ces questions ont-elles si peu d’importance, qu’elles soient si peu abordées ? Quels problèmes on été résolus ? Qu’en sera-t-il demain ? En attendant, les marchés sont rassurés, les cours remontent.

Qui va assumer les conséquences de l’austérité ?

Il est clair que les populations refusent les mesures d’austérité imposées par les technocrates européens. Alors que les gouvernements les acceptent ! Mais, même si tous ceux actuellement en poste, n’exerçaient pas le pouvoir, lors des dérives budgétaires, tous les membres des gouvernements appartiennent a la classe dirigeante qui, même si elle n’accepte pas de le reconnaitre en public, sait qu’elle est responsable de la situation.

Mais ce n’est pas elle qui va assumer les conséquences de l’austérité. Elle ne sera sans doute même pas affectée, ou si peu. Les classes populaires, ceux qui se contentent de survivre plus qu’ils ne vivent dans notre société de consommation, ne seront pas dans le même cas. Ils vont souffrir. Ils souffrent déjà et ressentent l’injustice de cette souffrance imposée pour des fautes dont ils ne se sentent, ne sont, pas responsables. Et l’abandon de cette souveraineté acceptée, sous les contraintes par les gouvernements, ne le sera pas, ne peut pas l’être, par les populations. Il est inacceptable que nos états ne soient pas souverains, aussi longtemps que nous vivrons dans des états‐nations.

Il n’est pas plus envisageable d’essayer de remplir le tonneau des Danaïdes. Que les états continuent à entretenir les fuites du réservoir, que la Banque Centrale Européenne s’efforce de remplir. Pour un état, cette situation est nouvelle. Personne n’y a encore été confronté et les deux contraintes ci-dessus relevées semblent incompatibles.

Constituer des garanties

Mais pour les entreprises, voire les particuliers, ce genre de situation est courant. Les règles juridiques, procédurales, les procédures collectives, les mesures de sauvegarde, les pratiques bancaires, sont rodées. Il est possible de s’en inspirer pour trouver une solution. S’il est inacceptable qu’une institution européenne, ne bénéficiant pas de la légitimité démocratique, dicte sa loi à un gouvernement démocratiquement élu, il est parfaitement légitime qu’un créancier, banquier procédant à un rachat de crédit, fixe les conditions de réaménagement de la dette.

Il est même d’un usage courant de constituer des garanties particulières. De mettre en place un privilège de premier rang. Celui-ci consistant dans le fait d’obtenir du débiteur l’engagement de ne pas pouvoir rembourser d’autre créancier, avant d’avoir solde sa dette en faveur du créancier privilégie. Instituant une telle garantie, c’est une évidence et la pratique l’a montre, qu’aucun autre créancier n’acceptera de prêter au débiteur, si la créance du créancier privilégie absorbe une partie conséquente des ressources du débiteur. Ce qui serait manifestement la conséquence logique, en cas de rachat de créances de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie par la BCE, a l’heure actuelle.

Celle-ci se trouverait ainsi en situation de seul préteur possible, non par l’institution d’une règle supranationale, mais par la conséquence d’une situation de fait. Un tel système ne permettrait pas, a lui seul, d’éviter le risque de faillite des états. Pas plus qu’il ne permet d’éviter ce risque a des entreprises qui y ont été soumises. Pour parvenir à l’éviter, ce qui, au-delà de la sauvegarde de l’Euro et de L’Europe, est l’objectif, des mesures complémentaires sont nécessaires, qui doivent être en cohérence avec celles-ci-dessus proposées.

Personne ne parviendra à en dénouer les fils

Ces états sont en situation de surendettement, dire que ceci est la conséquence de mauvaises gestions et de malversations, consiste a enfoncer une porte ouverte. Mais il est fort regrettable qu’au-delà de ce constat, personne ne songe a en tirer les conséquences. Quelles sont‐elles ? Une partie importante des créances négociées sur les marches, ont des origines douteuses. Dans un grand nombre de cas, les créances nominales sont très supérieures aux sommes effectivement prêtées aux débiteurs. Beaucoup de créances ont été acquises sur les marches a des montants inférieurs aux nominaux. Souvent les créanciers apparents ne sont pas les véritables titulaires.

Tout le monde s’accorde a dire que la situation est tellement complexe, que personne ne parviendra jamais à en dénouer les fils. Que le problème est ainsi insoluble. Je ne disconviens pas qu’il soit impossible d’identifier chaque créancier ou chaque créance et ses caractéristiques. Ce n’est pas, au moins a mes yeux, une condition nécessaire pour apporter une solution. En tant que créancier privilégie, ayant procédé au rachat des créances sur les états, seule la BCE serait en situation de mettre en œuvre une telle solution. Si le financement et la garantie passent par elle, il est également nécessaire que les remboursements passent entre ses mains. Et il sera des lors légitime, qu’elle en fixe les conditions et modalités.

Une question de survie

Notamment en limitant les remboursements au prix d’acquisition, effectivement payé pour le titre et à rendre la banque, ou l’établissement financier percepteur du remboursement, responsable du contrôle et garant en cas de fraude. Un certain nombre de dirigeants et de cadres de banques, pensent que ces mesures sont dirigées contre eux et inacceptables. Ils ont tort sur les deux points.
L’essentiel de la population est désormais consciente que la finance domine le monde, par le biais de l’économie, mais surtout par celui des finances publiques. La finance internationale a une image, largement méritée d’ailleurs, de système mafieux, obscur et frauduleux auquel les banques et grandes entreprises ayant pignon sur rue, participent largement. Ce qui n’est plus, non plus, un secret pour personne.

De ce fait et à assez court terme, l’assainissement de la situation est une question de survie, pour les banques et le système financier. Cela a été promis, rien de sérieux n’a été fait. Certains en prennent conscience, ils ne sont pas majoritaires. La plupart pensent que les mesures de plus grande dissimulation, seuls véritables effets dans le système financier, de la crise de 2008, suffira a les protéger. Ce ne sont que des écrans de fumée. L’un ou l’autre sera peut être protégé, mais cela n’évitera pas l’effondrement du système. Il n’existe pas de législation internationale réglementant les opérations financières.

Too big to fail !

Il ne peut pas en exister, puisqu’il n’existe pas d’institution internationale susceptible de l’édicter, encore moins de le faire appliquer. Les seules mesures efficaces ne peuvent venir que du système lui-même, de la volonté des acteurs. Et elles sont simples : édicter des règles déontologiques et refuser de traiter avec ceux qui ne les respectent pas. Beaucoup de mes lecteurs pensent ou penserons que la chose est évidente, ne comprendront pas qu’elle n’ait pas été mise en œuvre après la crise de 2008.

La raison en est simple : chacun se croit a la fois plus malin que les autres et indispensable. Suivant l’expression consacrée : "Too big to fail !". Et que les états feront tout, comme ils l’ont déjà fait, pour sauver "leur" système financier. Mais la, comme les armées, ils sont en retard d’une guerre. Au sein des pays démocratiques, plus personne n’est prêt à se sacrifier pour sauver le systeme financier. Des solutions alternatives existent, au sein même du système, ou qui sont en train d’émerger qui se proposeront pour éviter ces sacrifices. Peut être est-il déjà trop tard.

À propos de l’auteur : Marc Albert Chaigneau a été conseil de sociétés et avocat d’affaires, puis responsable juridique pendant 35 ans. De 1974 à 1998, il procède ainsi à des centaines d’analyses de sociétés, les suivant depuis la création jusqu’à la liquidation, en passant par les fusions, cessions, restructurations.

Marc Albert Chaigneau