Inflation contre dette (et vice versa)

1 Décembre 2011
Louis Peretz



L’idée pour un pays comme la France, qui dans les années 1970 connaissait encore une inflation à deux chiffres de ne plus s’adresser à la Banque de France pour trouver les ressources nécessaires aux investissements et autres dépenses courantes, mais aux banques privées pouvait sembler intéressante : au lieu de faire marcher la planche à billets chaque fois que des besoins de liquidités nouvelles apparaissaient, on s’adressait à des financiers. En prêtant ces mêmes liquidités avec intérêt elles étaient censées freiner l’appétit de l’État.

Un coût élevé

Mais emprunter coûtait en intérêt alors que le Trésor public fournissait les mêmes sommes gratuitement. Les banques se sont précipitées sur le gâteau en évitant de trop se concurrencer sur les taux d’intérêt. Elles étaient d’autant plus contentes que l’inflation avait une fâcheuse tendance à diminuer la valeur des remboursements des sommes qu’elles prêtaient par ailleurs. Arrêter l’inflation qui prenait donc en grande partie sa source dans l’augmentation des salaires était tout bénéfice : le différentiel entre l’inflation et le taux d’intérêt devenait plus intéressant. Mais pour l’État, c’était oublier l’engagement d’avoir à rembourser à plus ou moins long terme, alors que la masse monétaire du Trésor public se faisait sous forme définitive de dons.

La charge des remboursements étant alors augmentée des intérêts elle aurait pu être compensée par des augmentations d’impôts. Ce qui n’était pas bien vu sur le plan électoral. Le résultat est là : les déficits se sont accumulés, les emprunts aussi. Les dettes se sont gonflées au point qu’il faut à nouveau augmenter les impôts, ou diminuer les dépenses ou faire les deux. C’est entrer dans l’austérité et la rigueur avec l’inconvénient de diminuer l’activité économique, donc les rentrés d’impôts correspondants. Sans compter que l’activité qui baisse engendre le chômage qui diminue les dépenses de consommation qui diminue l’activité, et ainsi de suite jusqu’à quand ?

Accepter une certaine inflation

Les États européens qui ont suivi l’option du tout sauf l’inflation, rendue obligatoire par les traités de l’Union européenne se trouvent dans la même situation. Certes ceux qui peuvent exporter, comme l’Allemagne ont des rentrées qui en partie compensent les déficits : les entreprises paient des impôts sur leurs bénéfices. Les taxes à l’importation qui sont avantagées par un Euro trop fort complètent ces ressources. Or l’Euro n’a cette côte que du fait que les économies des principaux pays de la zone sont considérées comme suffisamment sûres pour que les remboursements des prêts (dettes souveraines) fassent croire (crédit) que ces remboursements sont assurés. Mais au fur et à mesure que l’activité baisse (délocalisations dues également à l’Euro devenu fort, importations qui concurrencent la production intérieure), la récession s’installe et ces moyens de remboursements faiblissent. Les agences de notations le savent. Les nouveaux prêts entraînent une augmentation des taux d’intérêt qui augment le montant de la dette, etc...

Comment rompre ce cercle vicieux ? Faire le contraire, c’est-à-dire refaire fonctionner la planche à billets en acceptant une certaine inflation. C’est-à-dire sortir de l’Euro et abroger la loi de 1973 qui en France l’interdisait. Alors c’est pour les économistes un scénario catastrophe, car ils ne savent pas, et cela a toujours été leur crainte, ce qui peut se passer dans la réalité. Comme l’a dit Keynes, les comportements des populations face à l’argent est souvent irrationnel. La panique est donc possible, si ceux qui ne subsistent que de leurs salaires et n’ont pas de liquidités d’avance épargne) peuvent se précipiter en nombre chez leur banquier pour retirer des liquidités.

Ne pas paniquer…

Le problème est alors de savoir si les banques pourront faire face à cette demande. En effet les dettes souveraines devraient continuer à être remboursées même en monnaie nationale (sinon elles ne pourront pas reprêter). Elles s’ajoutent à celles des particuliers. Sachant que les banques elles-mêmes ont prêté sans cesse des sommes qu’elles n’avaient pas (seulement 8% de fonds propres) elles peuvent être incapables de fournir les liquidités nécessaires. Pourront-elles seulement payer leurs salariés ?

Toutefois, l’État peut intervenir, nationaliser les banques, et fournir les liquidités nécessaires, quitte à faire à nouveau tourner la planche à billets. Les pauvres banques perdront les actifs qui leur restent, n’auront plus comme fonction que celle de banques de dépôt. C’est probablement ce scénario catastrophe que craignent certains économistes qui paniquent à l’avance… à l’idée de la panique. A supposer que l’inflation tant redoutée des banques réapparaisse, les entreprises seront contraintes à nouveau d’augmenter les salaires en les indexant. Et tout recommence comme avant. Sinon les pouvoir d’achat repart à la baisse, la déflation surgit avec ce que cela suppose de troubles sociaux incontrôlables. Ce qui ne serait peut-être pas plus grave que la rigueur actuelle qui aboutit au même résultat.

Le plus dur, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage

On en conclut que les politiques influencés par les financiers, ont enclenché un système de plus en plus incontrôlable, en troquant l’inflation contre les dettes souveraines de l’État. Apprentis sorciers qui n’ont que peu l’espoir de voir venir le sorcier lui-même pour tout arrêter et repartir du bon côté. Ce dernier devra s’imposer et prendre des mesures de coercition, protéger malgré tout le pouvoir d’achat des classes défavorisés en obligeant les entreprises à augmenter les salaires, imposer les niveaux des taux d’intérêts, freiner probablement les remboursements des dettes souveraines.

Or plus on attend pour sortir de l’Euro, plus la situation empire. Comme certains économistes l’ont dit : on (ceux qui sont au pouvoir), n’a pas agi suffisamment fort, et surtout pas assez vite. L’Allemagne qui a une peur bleue d’une inflation galopante (comme dans les années 1920) hésite. Entre la catastrophe annoncée d’une dépression et désinflation suivies d’un chômage massif incontrôlable et les problèmes sociaux possibles mais pas forcément catastrophiques d’une sortie de l’Euro, il y a un choix politique à faire délicat en période électorale. Or attendre encore et rester dans l’Euro n’est-ce pas reculer pour mieux sauter ?

Louis Peretz est spécialiste de la conception des systèmes d’information (diplôme d’Études supérieures scientifiques de l’Université de Paris I-Sorbonne). Il a été publié par des éditions du CNRS après avoir enseigné à l’Université de Paris VIII.

Louis Peretz