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Le Bric, la mondialisation et la crise financière

1 Décembre 2009
Propos recueillis par Vincent Paes
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Les BRIC, les super puissances économiques de demain, sont-ils armées pour faire face à la crise ? Il semblerait que oui. Aujourd'hui, ce sont eux qui soutiennent la croissance mondiale. Ils souhaitent profiter de cette nouvelle donne pour imposer leur règles.



Le Bric, la mondialisation et la crise financière
Le BRIC, acronyme pour désigner le groupe des pays formé par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine ne cesse d’attirer les projecteurs. Leurs points communs : avoir vu leur poids dans l’économie mondiale augmenter rapidement au début du XXIème siècle et vouloir jouer un rôle plus important dans les relations commerciales. Mais aujourd’hui, en pleine crise financière et économique, qu’en est-il ? Eléments de réponse avec Paul Roberto de Almeida, Professeur brésilien d’Économie Politique au Centre Universitaire de Brasilia (Uniceub) et diplomate de carrière.

Economie et société : Lors de la réunion du G20, le 15 novembre, les médias ont insisté sur l’importance du Bric dans les discussions. Pourtant, le Bric regroupe des pays avec des caractéristiques économiques assez différentes. Est-il alors pert

Paulo Roberto de Almeida : Il s’agit probablement du premier groupe de coordination diplomatique qui a été créé du dehors vers le dedans, c’est-à-dire, qui a fait d’abord l’objet d’une définition purement théorique, ou plutôt spéculative, pour devenir finalement un groupe « réel », au sens empirique.

C’est un économiste de la banque d’investissement Goldman Sachs qui a été, en 2003, le premier a utilisé cette appellation pour regrouper ces quatre pays : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Par la suite, ces pays ont profité de ce nom pour faire véhiculer leurs idées. C’est bien la première fois qu’un concept, finalement plutôt journalistique, devient un groupement réel. Cela est d’autant plus bizarre que ce groupement est assez arbitraire. Ces pays ont en effet des positions différentes voire même opposées sur certains sujets.

Au contraire, ce qui les unit est plutôt une condition négative : ne pas être au centre de la coordination économique mondiale, position occupé par le G7. Je pense que ce terme traduit un engouement pour de nouvelles formules et un ras le bol du discours du G7.

Je propose donc un prix de marketing pour l’économiste qui a suggéré ce concept, et qu’il puisse recevoir les droits d’auteur qui lui sont dus pour cet usage intensif de son « invention ».

E.S : Quelle a été la place du Bric dans les négociations du G20 qui se sont tenus le week-end dernier ?

PRA: Il faut d’abord distinguer « deux » G20, celui « agricole », qui opère aux négociations du Doha Round, à l’OMC, et celui « financier », qui a été constitué dans le contexte des institutions de Brettons Wood. Parlons tout d’abord du commercial.

Bien que trois des pays soient au G20 - la Russie n’ayant pas été encore admise à l’OMC - il n’y a pas, en principe, des positions communes pour les négociations commerciales multilatérales du Doha Round. Même si le Brésil, l’Inde et la Chine soient tous les trois opposés au protectionnisme agricole et aux fortes subventions dans ce même secteur par les pays riches - en particulier les États-Unis et l’Union Européenne - ils exhibent des positions fortes divergentes sur la plupart des sujets à l’ordre du jour des négociations. Le Brésil est un exportateur agricole plutôt agressif. Il souhaite d’ailleurs que tous les marchés agricoles soient ouverts tandis que les deux autres préfèrent maintenir un certain niveau de protection et de subventions internes. De plus, l’Inde a proposé l’introduction de mesures de sauvegarde spéciales, qui se révèlent contraires à l’esprit et à la lettre des compromis de libéralisation des échanges déjà agréés.

Le G20 agricole a, bien sûr, un rôle important, comme messager des positions de beaucoup des pays en développement, mais il est plutôt défensif qu’offensif dans ses positions agricoles.

En ce qui concerne le G20 financier, disons plutôt que le BRIC pourrait avoir des positions communes, mais qui ne sont pas nécessairement similaires. Tous les quatre disent avoir intérêt dans une réforme des institutions financières internationales, surtout en ce qui concerne une nouvelle répartition du pouvoir de décision, basé sur le capital de chacun d’eux dans les deux organismes de Washington. Il faut reconnaître, cependant, que la Chine et la Russie, même ayant été admis tardivement dans les deux « sœurs » de Bretton Woods, ont déjà une participation qui dépasse un peu leur poids économique réel, surtout dans le cas de la Russie.

Ce sont, bien sur, des raisons politiques qui ont déterminé cela, et pas nécessairement économiques. Par contre, le Brésil, et surtout l’Inde, sont probablement sous représentés au niveau économique mondial, et spécialement dans les organisations financières. Cela vient probablement du fait que ces deux pays ont des positions plus protectionnistes faites d’intervention de l’État, de contrôle des capitaux, de restrictions à la convertibilité de leurs monnaies et d’autres attitudes réactives à l’ouverture économique et à la libéralisation commerciale.

Ainsi, il n’est pas certain, que les Bric aient des positions communes à défendre dans le contexte du G20. Il se peut qu’ils signent des déclarations communes, mais elles seront générales et évasives, juste le nécessaire pour affirmer leur position en tant que « groupe » - même s’ils ne se reconnaissent pas officiellement en tant que tel – mais laissant la porte ouverte, après, pour une action individuelle selon les intérêts de chacun d’eux.

Cela découle de leur situation très différente dans l’économie mondiale, leurs modes d’insertion respectifs, marqués par des formes très diverses : exportations de commodités pour le Brésil, concentration dans le pétrole et le gaz dans le cas de Russie, services et technologies d’information pour l’Inde et manufactures générales, notamment électroniques, pour la Chine.

Ils ont donc des situations de balance de paiements et fiscales très différentes : un grand surplus financier pour la Chine, un grand déficit de transactions courantes pour l’Inde et des positions mouvantes pour le Brésil et la Russie. Chacune de ces positions détermine un type d’attitude vis-à-vis les finances ou le commerce internationaux, et ainsi une position envers le régime de changes, plus ouvert (flottant) ou de surveillance (administré), selon les cas.

Il faut aussi tenir compte des réserves internationales (très importantes dans le cas de Chine, de presque US$ 2 trillions, ou deux mille milliards) et de l’éventuelle disponibilité d’un Fonds Souverain, qui pourrait intervenir en cas de graves déséquilibres.

E.S : Ces pays peuvent-ils réellement imposer leurs opinions ?

PRA: Il est fort peu probable que les Bric puissent imposer leurs opinions. Ce qu’ils peuvent faire, tout au plus, c’est suggérer des changements dans les procédures ou dans les mécanismes de gestion du financement international. En vérité, ce qui compte, dans des circonstances périlleuses comme celles qui nous traversons aujourd’hui, c’est la capacité d’émettre des monnaies de réserve - un privilège réservé aux membres d’un cercle très restreint de pays, pratiquement le G5 original, seulement - et celui de garantir des emprunts internationaux, c’est-à-dire, être un créancier de dernière instance. Cette capacité est réservée à peu de pays, ainsi qu’au Fonds Monétaire International (qui, lui, ne dispose pas de grands moyens, près de 270 milliards de dollars, seulement).

Pour un PIB global de près de US$ 55 trillions, le PIB conjoint des Bric ne dépasse pas plus de US$ 6 trillions. Et bien que le montant total des pays en développement doit s’approcher du PIB global des pays développés dans moins de dix ans, les pays développés auront pendant encore longtemps une longueur d’avance.

Ce qui fait la crise, en premier lieu, c’est précisément une redistribution de richesses avec des répercussions à moyen terme sur le pouvoir mondial. Les pays riches doivent subir une diminution de la capitalisation de marché de ses banques et entreprises, avec un rétrécissement des avoirs investis sur les marchés financiers. Mais, le renforcement des pays émergents doit encore prendre un peu de temps.

Cependant, il ne s’agit pas seulement de capitaux, c’est-à-dire, des avoirs disponibles sur les marchés financiers ou même sous la forme d’investissements directs à l’étranger 6 ce que les Brics commencent à le faire - mais aussi de la capacité technologique, du know-how, de l’innovation, des ressources humaines, du marketing et, surtout, d’une capacité avérée à présider aux destinées de la planète, ce qui comprend la gestion de l’ordre du jour mondiale et l’administration des organismes de la gouvernance globale (pas seulement économiques, mais surtout économiques). Or, dans ce domaine, la capacité des Bric est encore très éloignée de celle des pays du G7.

En fait, ils ont la capacité de bloquer la prise de décision en certaines matières - notamment dans le domaine commercial, peut-être - mais ne sont pas encore en mesure d’imposer leurs propres solutions à des problèmes globaux. C’est dire que leur pouvoir actuel est surtout « négatif », avant d’être attaché à une réelle force de proposition, ce qui viendra le moment venu. Si nous regardons la conjoncture économique mondiale, nous constatons que le seul pays en condition d’ébranler les équilibres internationaux - disruption capacity - est la Chine, tous les autres ne disposant que de très peux de pouvoir réel.

E. S : La Chine a mis en place un plan de relance sans précédents pour le pays. Selon vous, d’autres pays du Bric seront-ils amenés à agir de la sorte ?

PRA: Chaque pays va réagir en fonction des ses besoins immédiats. La Chine doit créer plus de 24 millions de nouveaux emplois par an, pour accommoder son taux d’urbanisation, encore modeste. Or, la crise américaine et la récession déjà en cours produit un très grave problème de demande pour les industries chinoises. Il n’est pas étrange, ainsi, qu’elle cherche à résoudre ce problème par des programmes internes pouvant stimuler son économie. Le montant prévu à cet effet – près de US$ 580 millions – est énorme, mais probablement compatible avec la gravité du problème.

Le Brésil a déjà pris d’autres dispositions similaires – réduction des dépôts bancaires auprès de la Banque Centrale, extension de crédits officiels à des banques et secteurs industriels, ainsi que d’autres mesures – mais cela n’empêchera pas, probablement, le pays de subir les conséquences de la réduction du crédit commercial international (qui finance, par exemple, plus de la moitié de ses exportations de US$ 220 milliards par an). L’Inde a réduit ses taux de référence, mais le pays exhibe un fort déficit fiscal. La Russie doit aussi subir des problèmes, avec la réduction des prix de ses deux principaux produits d’exportations.

Tous les pays, donc, prennent des mesures, mais cela se fait dans des circonstances toujours nationales et sans réelle coordination politique au niveau global, sauf pour des réunions qui approuvent des communiqués très vagues et très optimistes. Le communiqué de la réunion de Washington, le 15 novembre, n’a pas déçu de ce point de vue : on est en train d’éloigner les démons d’une dépression globale. À la fin, la situation va se redresser, avec une probable redistribution de pouvoir et richesse au niveau global, mais à un rythme très mesuré : personne n’est intéressé à enterrer le capitalisme, pas même les chinois ou les russes…



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