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L’euro et les rochers de Sisyphe

2 Décembre 2010
Morad El Hattab et Irving Silverschmidt
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Chacun des peuples des quatre pays périphériques de l’Eurozone porte à présent ses dettes d’Etat comme Sisyphe son rocher. Heureusement, l’Europe veille, et pour sauver les États de la faillite, elle apporte des crédits supplémentaires. Un cercle vicieux ?



L’euro et les rochers de Sisyphe
La Grèce, en plus de ses 300 milliards d’euros de dette publique fin avril 2010, reçoit quelques 110 milliards d’euros prêtés par un fonds européen. La dette publique grecque dépassera donc les 400 milliards d’euros, soit 160 % du PIB annuel de la Grèce. En Irlande, partie de 25 % du PIB annuel de 164 milliards d’euros en 2007, la dette publique y atteint à présent 80 % du PIB annuel soit 130 milliards d’euros, avec le plan de sauvetage elle atteindra 230 milliards d’euros, soit 140% du PIB annuel.

Des dettes comprises entre 120 et 160 % du PIB

Au Portugal, le plan de sauvetage prévisible doit atteindre 50 milliards d’euros, en plus des dettes déjà parvenues à 90% du PIB annuel. Quant aux dettes publiques espagnoles, parties de 40% du PIB annuel de 1000 milliards d’€ en 2008, elles atteignent à présent 700 milliards d’€, soit 70% du PIB annuel. Un éventuel plan de sauvetage européen, estimé à 350 milliards d’€ (soit le renouvellement des dettes espagnoles d’ici 2013, dont 192 pour la seule année 2011) porterait donc les dettes hispaniques à plus de 1050 milliards d’€ soit 105% du PIB annuel.

C’est ainsi que nos quatre peuples « Sisyphe » s’apprêtent à porter des dettes jusqu’à 120-16 0% de leur Produit intérieur brut (PIB) au lieu de 70-90 %. Bref deux rochers au-lieu d’un. Et comme le disait notre ancien Premier Ministre, M. Jean-Pierre Raffarin : « la route est droite mais la pente est rude ».

Est-ce bien raisonnable ?

Les crises des quatre Etats périphériques ne s’expliquent pas vraiment, le cas de la Grèce mis à part, à partir de gestions désastreuses des finances publiques. En fait, les causes sont ailleurs : en Irlande et en Espagne, ce sont des bulles immobilières financées à crédit avec effet de levier par les banques locales certes, mais aussi européennes (surtout françaises et allemandes).

Au Portugal et aussi en Espagne, la situation résulte plutôt d’une grave dégradation de la compétitivité économique en particulier vis-à-vis de l’Allemagne. Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux pays périphériques de l’Eurozone. En effet, sur la période 2000-2010 les coûts de la main d’œuvre ont par rapport à l’Allemagne augmenté de 15% au Portugal, un peu plus de 30% en Espagne et en Italie.

Les vraies causes des crises des finances publiques des quatre États périphériques sont donc en réalité les suivantes :

- Des bulles immobilières financées à crédit avec effet de levier par les banques européennes, dans son ampleur, l’équivalent des subprimes américaines.
- Des déséquilibres profonds de compétitivité entre les Etats membres de l’Eurozone.

Les bulles immobilières financées à crédit avec effet de levier par les banques européennes posent le problème de la réalité de la solvabilité des banques européennes elles-mêmes. L’exposition des banques étrangères à l’Irlande atteint 731 milliards de dollars dont 509 milliards pour les banques européennes (sources : FMI et BRI). L’exposition des banques européennes aux économies périphériques dépasse, selon une étude de la Royal Bank of Scotland, 2000 milliards d’euros.

Les crédits les plus risqués sont les prêts au privé

L’euro et les rochers de Sisyphe
Certes les actifs toxiques ne sont pas des pertes, mais elles seront tout de même élevées. Les crédits les plus risqués ne sont d’ailleurs pas, du moins à l’origine, les prêts aux États. En effet, les finances publiques portugaises, espagnoles et irlandaises étaient bien gérées, les dettes publiques de ces États sont devenues risquées lorsque les économies de ces pays ont mal tourné. En fait, les crédits les plus risqués sont les prêts au privé, car souvent accordés au secteur de la construction, aux promoteurs immobiliers, voire aux banques locales, et là les risques de pertes sont élevés.

Il est évidement plus facile de prêter aux États pour que les contribuables de ces États remboursent les mauvais crédits des banques… Les plans de sauvetage européens ont donc un but différent de l’objectif affiché : il ne s’agit pas de sauver les États périphériques de l’Eurozone, mais de sauver les banques européennes surtout allemandes et françaises qui ont accepté d’y consentir des crédits risqués, mais à des taux d’intérêt plus élevés qu’ailleurs.

La compétitivité des industries allemandes ruine de nombreuses industries européennes, mais, à vrai dire, la douleur se porte plutôt sur l’Italie et la France, jusque là en dehors des crises financières de l’Eurozone. La compétitivité allemande a été arrachée par près de dix ans d’austérité avec le blocage des salaires et la réduction des dépenses publiques.

Pour redevenir compétitives, la France et l’Italie devraient alors, soit dévaluer, mais à l’intérieur de la zone euro il est impossible de dévaluer, soit réduire les salaires et les charges sociales d ‘au moins 15% pour la France (c’est plus que la « Déflation Laval » de 1935) et 20 à 25% pour l’Italie. Outre Manche, le gouvernement Cameron s’y est lancé, reste à voir la réaction future des Britanniques. Les mouvements de foule contre la réforme des retraites, et l’état de l’opinion publique qui s’en sont suivis rendent politiquement peu réaliste au moins en France une telle déflation.

Les vrais problèmes de la zone euro sont donc les suivants :

- L’état des systèmes bancaires européens devant les pertes vraisemblables sur les plus de 2000 milliards d’€ engagés fans les bulles immobilières des États périphériques. L’Espagne pourrait bien devenir la tombe de certaines banques françaises et le Parthénon leur Mausolée, d’ailleurs la Pythie le sait bien... C’est l’équivalent européen des subprimes, c’est la phase européenne de la grande crise de la déréglementation sous la forme d’une crise bancaire majeure.

- Les graves inégalités de compétitivité entre les pays de l’Eurozone. L’Allemagne réalise ses excédents commerciaux (135 milliards d’€ en 2009) sur les déficits commerciaux de la France (- 55 milliards d’€ en 2009), de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce, or l’Allemagne ne va plus vouloir prêter.

L’hypothèse d’une réduction du périmètre de l’Eurozone à l’Europe du Nord et Centrale pourrait alors se poser. L’Europe est parvenue à masquer ses deux crises économiques pendant deux ans, elle y parviendra peut être d’ici le printemps ou l’été 2011, mais comme la Du Barry en 1793, c’est implorer "quelques minutes à Monsieur le Bourreau".

Les deux auteurs ont publié en août 2010, La vérité sur la crise. Pour en savoir plus sur ce livre, cliquez-ici.



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