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Bâle III ou l’art de faire du Canada Dry avec du Whisky

25 Novembre 2010
Morad El Hattab et Irving Silverschmidt
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Bâle III ou l’art de faire du Canada Dry avec du Whisky
Deux ans après la « crise de Lehman Brothers », les banques européennes, si elles inspirent confiance pour le beau temps, suscitent la peur dès que menace la tempête… Pour les guérir de cette perverse maladie, les institutions européennes ont d’abord réinventé l’Amérique c’est-à-dire les stress tests.

Las, après un fol succès, l’une des banques admises aux stress tests l’Anglo Irish Bank réclame à la République d’Irlande une bourse de 25 milliards € ou la vie c’est-à-dire la faillite ! Et comme l’Irlande n’est pas assez solide, ses bons du Trésor à 10 ans font avec les bunds allemands à 10 ans le grand écart de 399 points (au 21 septembre 2010), soit + 3,99%... Tout ceci évidemment fait désordre…

Des stress tests déjà démentis

Puisque les résultats des stress tests sont déjà démentis par une banque irlandaise un mois après leur publication, il faut autre chose et alors Bâle III et ses règles de prudence bancaire viennent à point. Bâle III est un arrière-petit enfant de la déréglementation. Il succède par génération à la déréglementation, puis Bâle I, puis Bâle II, d’ailleurs la philosophie financière de Bâle III reste la même que pour Bâle I.

Avant la déréglementation des années 1980, les règles françaises de prudence bancaire commandaient de placer 60 % (selon la loi de 1941 confirmée par l’ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine). En fait, selon la coutume, 80 % des dépôts à vue en actifs réescomptables à la Banque de France. Les actifs réescomptables comprenaient les billets d’escompte à moins de 90 jours (forme réescomptable des prêts à court terme aux entreprises) ainsi que les obligations d’Etat et de la Ville de Paris et les obligations de la SNCF.

Ainsi 80% des dépôts à vue étaient réinvestis dans des actifs que la Banque de France s’engageait à réescompter, c’est-à-dire à prendre en pension en garantie d’avance de la Banque de France aux banques privées. Cela a permis à la France de « survoler » la crise financière de 1929. Etabli depuis la loi de 1806 pourtant statuts de la Banque de France, le système de réescompte garantissait la liquidité des banques à hauteur de 80% de leurs dépôts à vue. Par ailleurs, la solvabilité des banques était elle-même garantie car la Banque de France ne tenait pour réescomptable un billet à moins de 90 jours que si les deux entreprises qui le signaient étaient elles-mêmes reconnues « bancables », c’est-à-dire sérieuses par la Banque de France.

La solvabilité des banques était donc garantie par la qualité des actifs réescomptables reconnus bancables par la Banque de France. La déréglementation des années 1980 a tout simplement supprimé les anciennes règles de prudence bancaires de protection des dépôts et en particulier les règles de prudence bancaire quant à la qualité « bancable » des actifs.

La suppression universelle des anciennes règles de prudence bancaire par la déréglementation n’a cependant pas été totale. C’est alors qu’à partir des années 1980, la BRI (Banque des Règlements Internationaux) basée à Bâle établit de nouvelles règles de prudence bancaire universellement reconnues à partir des premiers accords dits de Bâle I en 1988.

Bâle fonde la prudence bancaire non plus sur la qualité et la liquidité des actifs, mais sur les caractéristiques du financement

La logique des règlements de Bâle I, puis de Bâle II et de Bâle III depuis le début septembre 2010, fonde la prudence bancaire non plus sur la qualité et la liquidité des actifs, mais sur les caractéristiques du financement des banques, avec l’établissement d’un ratio de financement par les « fonds propres », en principe le capital. Ce ratio, dit « ratio Cooke » est resté en principe de 8% de financement des actifs par les fonds propres.

En fait, ce ratio Cooke de 8% était un principe. Certains placements jugés très sûrs, c’était le cas pour les banques et les collectivités locales à l’intérieur de l’OCDE qui bénéficiaient d’un « coefficient de pondération du risque » de 20%. Le ratio de 8% était pondéré par 20% donc il se réduisait à 1,6% (exemple : les banques irlandaises). Enfin, les emprunts des Etats de l’OCDE étaient jugés assez sûrs pour n’avoir pas besoin d’un financement par les capitaux propres (exemple : la Grèce).

Le système de Bâle I était donc fondé sur l’obligation pour les banques de financer leurs actifs avec un ratio minimum de fonds propres en principe 8% sauf les exceptions mentionnées ci-dessus. Bâle I est apparu un peu « rustique » dans ses exigences de capital, aussi les banques et surtout les lobbys qui les représentent n’ont eu de cesse que de réaliser une version plus sophistiquée et plus proche de la philosophie de la déréglementation à savoir l’élimination des rigidités réglementaires qui « brident » la croissance économique et les innovations y compris dans la finance.

Financer ses actifs avec un ratio minimum de fonds propres

C’est l’origine de Bâle II qui à partir du 1er janvier 2007 s’est substitué à Bâle I. Les ratios Cooke sont alors remplacés par les ratios Mc Donough, en principe sur la même base de 8 %, mais la notion même de fonds propres évolue : ils comprennent les fonds propres essentiels appelés « Tier One », à savoir le capital, les réserves, les reports à nouveaux et les fonds pour risques bancaires d’ensemble. Le « Tier One » correspondait donc à la définition comptable traditionnelle des capitaux propres.

Ils comprennent aussi les fonds propres complémentaires ou « Tier 2 », à savoir des plus values latentes tels que des créances latentes sur le fisc, des certificats d’investissements de titres participatifs et des emprunts dits subordonnés, c’est-à-dire remboursés en dernier. Dans ce cas, le risque correspondant est alors compensé par des rendements plus élevés. Ce « Tier 2 » répond assez bien aux définitions classiques de l’ancien amoureux transi de Monica Lewinsky « tout dépend de ce que fonds propres veut dire ».

Les ratios Mc Donough de fonds propres par rapport aux actifs étaient alors composés à raison de 50% par le « Tier One » et 50% par le « Tier 2 », c’est-à-dire par de véritables chauve souris financières qui par beau temps sont à la fois oiseaux et souris et par mauvais temps ne sont ni l’un ni l’autre. Tout comme Bâle I, la qualité des actifs pouvait déterminer des coefficients de pondération afin de permettre de diviser par cinq (20%), voire d’éliminer le ratio théorique de 8% de fonds propres. Mais alors qu’avec Bâle I les coefficients de pondération du risque restaient l’exception, avec Bâle II, ils deviennent presque la norme.

Tout d’abord, les coefficients de pondération du risque sont en théorie déterminés à l’intérieur d’une grille par les notes accordées par les agences de notations, et mieux les banques peuvent s’affranchir de la grille théorique des coefficients de pondération. Il leur suffit de réaliser une méthode interne de notation : celle-ci doit pondérer des probabilités de défaillance de l’actif, des probabilités de pertes en cas de défaillance et une exposition de la banque de cas de défaillance. Évidemment, tout ceci n’était pas destiné à être clair. Ce système de notation interne devait reposer sur des bases de données issues de sept années d’observation.

Trois miracles et quelques règles

Bâle II a donc apporté aux banques trois miracles réagissant l’un sur l’autre :

- La possibilité de constituer pour moitié leurs fonds propres avec des fonds… qui n’étaient pas propres en particulier des hybrides d’emprunts et de capitaux.
- La possibilité d’évaluer leurs risques avec des instruments mathématiques de probabilité (« quants ») ils étaient calculés d’après des données des sept années précédentes. Années où, au moins sur les marchés des crédits aucun accident ne s’était produit.
- La possibilité de se contenter des notes des Agences de notation pour toute évaluation.

Les agences de notation ont noté AAA les subprimes, les instruments mathématiques de probabilité se sont effondrés quand les données sont sorties du domaine des données des sept années précédentes, et les fonds propres ne l’ont été que pour moitié. En fait, le ratio de fonds propres de 8% théoriques à fini par s’abaisser à 2%. Cet ensemble a provoqué les fondements mêmes de la crise financière. C’est pourquoi les discussions sur Bâle III ont alors débuté.

Bâle III a, au début, eu pour objectif de remplacer les « règles de la déréglementation c’est-à-dire la suppression des limites à la prise du risque créée par l’effet de levier du crédit à court terme sur les marchés financiers, et de les remplacer par un renouveau des règles de prudence bancaire, mais très vite l’objectif est parti à l’horizon d’abord, pour être perdu de vue ensuite !

Tout d’abord, Bâle III s’est intéressé essentiellement à l’établissement de normes de financement des banques. En quelque sorte, Bâle III voit le risque dans le passif des bilans des banques, c’est-à-dire leur financement, mais il continue de survoler les risques dans l’actif des bilans des banques c’est-à-dire la qualité des actifs. Or, si la faiblesse du financement crée le risque d’illliquidité, le risque d’insolvabilité résulte plutôt de la mauvaise qualité des actifs, et la crise financière de 2007-2008, a surtout été une crise d’actifs toxiques notés AAA par les Agences de notation.

Accroître le montant des capitaux propres revient à réduire les marges de bénéfices

Bâle III ou l’art de faire du Canada Dry avec du Whisky
Bâle III a débuté fin 2008, les premières décisions viennent d’être rendues publiques en septembre 2010, cela porte bien la marque d’une sage lenteur, en fait freinée des quatre fers par les lobbys bancaires. L’explication, est fort simple : accroître le montant des capitaux propres par rapport au financement des actifs, revient certes à accroître la partie la plus sûre du financement des banques, mais aussi à réduire les marges de bénéfices.

En effet, les bénéfices des banques sont surtout le résultat des différences des marges entre les capitaux empruntés et les placements en actifs. Les dépôts des particuliers sont la forme d’emprunt la moins coûteuse, mais l’une des plus risquée, car à vue, donc à rembourser dans l’immédiat.

Les bénéfices des banques sont donc le résultat de l’effet de levier financé par l’emprunt, y compris les dépôts à vue, et le « repo » (forme d’emprunts à quelques jours sur les marchés). Moins il y a de capitaux propres, plus il y a d’effet de levier et surtout moins il y a de capitaux, plus les bénéfices créés par effet de levier puis répartis par actions sont élevés.

C’est pourquoi, donc, les banques européennes ont exigé et obtenu une forte baisse des ratios des capitaux par rapport aux actifs. Les banques européennes surtout, car à la suite de la crise de l’automne 2008, elles se sont moins recapitalisées que les banques américaines, d’où un affrontement à peine feutré entre les banques américaines qui exigeaient un relèvement sérieux du ratio des fonds propres (semble-t-il jusqu’à 15 %) et les banques européennes qui nenni n’en voulaient.

Des exigences modestes

Ces derniers ont eu gain de cause : Bâle III exige un ratio de fonds propres appelé « Core Tier One » de 4,5 % des actifs « pondérés » d’ici le 1er janvier 2015, plus une marge de 2,5% de ces actifs pondérés d’ici 2019. Non seulement les exigences, modestes sont devenues, mais aussi la prière de la Du Barry au moment de monter à l’échafaud « encore quelques minutes Monsieur le Bourreau » a été plus qu’entendue. Mais revient le vieil adage de l’amoureux de Monica Lewinsky « tout dépend ce que Core Tier One » veut dire…

En principe le « Tier One » est composé exclusivement par les actions et les bénéfices mis en réserve. Mais il a aussi compris les parts dans des institutions financières, ainsi que les créances sur les impôts. Le Tier One admettait ainsi des financements hybrides, c’est-à-dire des obligations dont le service peut être suspendu à vue, et qui ne sont pas remboursables en temps de crise. C’est pourquoi le « Tier One » est remplacé par un « Core Tier One » composé exclusivement par des actions. Malgré tout, des incertitudes semblent exister, et l’expérience de l’évolution de Bâle II sur la composition du « Tier One » suggère que dans quelques années le « Core Tier One » sera composé de bien d’autres hybrides que les actions et qu’il faudra bien créer un « Core Core Tier One »…

Enfin et surtout, il est permis de se demander si un « Core Tier One » où les actions représentent 7 % au-moins des actifs pondérés, en fait 4,5 % en 2015 et 7 % en 2019, peut suffire en temps de crise. Après tout, selon le Financial Times du 13 septembre 2010, les pertes cumulées des banques américaines ont de 2007 à 2010 représenté 7 % des actifs.

De son côté, Martin Wolf « Basel, the mouse that did not roar » (« Bâle, la souris qui n’a pas rugi »), (Financial Times 15 septembre 2010), remarque que les “besoins en capitaux” doivent être beaucoup plus élevés pour être de l’ordre de 20 à 30%. Un graphique joint à l’article montre qu’à la fin du XIXème siècle, les capitaux des banques américaines étaient proches de 25% des actifs et qu’au moment de la crise de 1907 ils atteignaient encore 18%. Or, lors de la crise de 1907, ils se sont révélés presqu’insuffisants : au-delà de l’intervention de J.P. Morgan, il a fallu que le Trésor américain accorde une ligne de crédit de 25 milliards $, et que la Banque de France elle-même accorde un crédit à court terme de 16 milliards $...

Des règles légères, témoins des faiblesses des banques

Il est donc clair que les règles de Bâle III sont des règles établies pour le confort des banques tel qu’il a été défini par les lobbys bancaires européens avec même des délais généreux : les capitaux propres réels « Core Tier One » représentent 4,5% des actifs pondérés pour 2015 et 7% pour 2019. Comme l’affirme un vieil adage de marins : « Le pacha a bien dîné, l’équipage est content ».
Ce sont là des règles plus inquiétantes que rassurantes : s’il faut attendre 2019 pour exiger un montant de 7% des vrais capitaux propres, c’est que cela n’est peut être pas facile pour de nombreuses banques européennes…

Des règles légères certes font le bonheur des banquiers, mais elles sont aussi un révélateur discret des faiblesses des banques. Après tout, comme en a témoigné John Dimon, PDG de J.P. Morgan devant le congrès américain au printemps 2009 « Un jour ma fille m’a demandé ce qu’était une crise financière, je lui ai dit que c’était quelque chose qui se produisait tous les cinq à sept ans, elle m’a répondu qu’il n’y avait pas de quoi en faire une histoire ».

Les deux auteurs ont publié en août 2010, La vérité sur la crise. Pour en savoir plus sur ce livre, cliquez-ici.

Pour lire un autre article sur Bâle III, cliquez ici.



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